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Le bug humain

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » disait Jacques Chirac en 2002. Pourquoi un animal aussi intelligent que l’homme, doté d’un cortex puissant, n’est-il pas capable d’organiser un « changement de trajectoire », alors qu’il sait pertinemment que la trajectoire actuelle mène l’humanité dans le mur ?

Sébastien Bohler, docteur en neuroscience et rédacteur en chef du magazine « Cerveau et psycho » apporte à cette question un éclairage original. Pour lui, la raison est à rechercher dans la constitution même de notre cerveau.

Au plus profond, il y a un petit organe, appelé striatum, qui régit depuis toujours nos comportements et qui a été le moteur de la survie de l’espèce. Dans un monde très différent de celui d’aujourd’hui, il a habitué le cerveau humain à des réflexes de survie :

– Trouver de la nourriture et manger le maximum, ce qui était indispensable à la survie à court terme dans un environnement où la nourriture accessible était rare

Trouver des partenaires sexuels : pour diffuser ses propres gènes et assurer la continuité de l’espèce.

– Se procurer un statut social : dans un monde où la vie en groupe était la condition nécessaire de la survie, se positionner en situation de pouvoir dans le groupe ou au moins identifier et suivre un individu de pouvoir.

Acquérir de l’information : savoir où trouver la nourriture, apprendre à utiliser des outils sont des moyens d’améliorer grandement la survie.

Dépenser le moins d’énergie possible : dans un univers où les denrées et moyens sont limités, il est capital de savoir se préserver et ne pas s’épuiser.

Pour promouvoir ses réflexes de survie, le striatum récompense les comportements « appropriés » en fournissant du plaisir au cerveau, à travers la libération de dopamine. Ce mécanisme a été extraordinairement efficace et a permis à l’espèce humaine, pourtant apparemment si fragile face à d’autres espèces, de devenir l’espèce dominante sur terre.

Le problème, c’est que dans un monde où nous avons maintenant surabondance de nourriture, sexe, information, énergie… ce mécanisme n’est plus nécessaire. Et pourtant, malgré un fort développement du cortex (la pensée raisonnable), le striatum est toujours aux commandes du cerveau, et nous pousse à demander toujours plus.

Aujourd’hui il y a plus d’obèses que de personnes sous alimentées. Même si nous savons (par notre cortex), que cela n’est pas bon pour notre santé, notre plaisir (notre striatum) nous pousse à consommer toujours plus de calories. La pornographie est la première industrie du Web, nous sommes en quête de toujours plus de reconnaissance sociale, de signes extérieurs de richesse, de promotion. Et ce fonctionnement se traduit souvent par la consommation, ce qu’ont bien compris les spécialistes de marketing : « la clé de la prospérité économique c’est la création d’une insatisfaction organisée ». Le résultat est une société de consommation dans laquelle « nous brûlons notre propre navire à seule fin de pouvoir glisser la tête plus haut par-dessus l’épaule du voisin, ou du moins ne pas se laisser distancer par le gros du peloton ».

Dans un monde où l’accès à l’information est sans limite, nous sommes devenus des obèses informationnels, ce qui a ouvert des marchés immenses pour des entreprises comme Google, Apple, Facebook et Amazon.  Et une partie non négligeable de la population est devenue « addict » aux jeux de toutes sortes.

En résumé, hier notre cerveau était notre allié et il nous a permis de survivre et de nous développer en tant qu’espèce. Aujourd’hui il est en passe de devenir notre pire ennemi.          

Le sous-titre du livre annonce « comment l’en empêcher » : toutefois la partie de l’ouvrage qui traite des solutions est moins développée que celle qui fait le constat. Deux pistes sont évoquées pour résoudre le « bug humain ».

« La première, très audacieuse, consiste à prendre le striatum à son propre jeu. Plutôt que de s’opposer à son action de manière frontale il s’agira de détourner son énergie » . Nous pouvons apprendre à valoriser d’autres comportements que la recherche de nourriture, de sexe ou de pouvoir. Moyennant une éducation,  des comportements respectueux de la planète, des comportements empathiques peuvent devenir des comportements appropriés que notre striatum récompense.

La seconde approche consiste, quant à elle à faire appel à une capacité unique de l’être humain : la conscience. L’auteur décrit l’exercice du grain de raisin qui consiste à prendre le temps d’observer longuement le grain de raisin avant de le mettre dans la bouche, autrement dit, rajouter de la conscience dans nos gestes automatiques de tous les jours. « Amener notre degré de conscience à un niveau comparable avec notre intelligence sera sans doute un enjeu de premier plan pour l’avenir de notre espèce ».

Le « bug humain » est un livre facile à lire et qui propose un éclairage original et des pistes de solution qui mériteront toutefois d’être approfondies.