Sébastien Bohler, Éditions Robert Laffont, 2020
Dans le « Bug Humain » son livre précédent, Sébastien Bolher analysait l’influence d’une partie de notre cerveau, le striatum, sur nos comportements. Il montrait ainsi qu’un striatum développé à une période où l’homme devait lutter pour sa survie, conduisait aujourd’hui l’homme à détruire la planète.
Dans ce nouvel ouvrage, c’est à une autre partie du cerveau, le cortex cingulaire, qu’il s’intéresse. Cet endroit de notre cerveau compare la réalité de ce qui se passe aux prévisions. En cas d’écart, il envoie dans notre corps un « message d’erreur » se traduisant par l’émission d’hormones de stress, comme le cortisol ou la noradrénaline. Le cortex cingulaire est donc « la machine à prédire de notre cerveau » qui reste calme tant que tout se passe comme prévu et qui tire le signal d’alarme si les choses dérapent / ne se passent pas comme prévu.
Dans les premiers temps de la vie des hommes, le cortex cingulaire était utile pour des occupations aussi fondamentales pour la survie que la chasse : si j'ai telle configuration de traces, cela a-t-il une chance de signifier la présence d'un gibier ?
Une fois sédentarisés, les hommes se sont retrouvés très nombreux au même endroit, sans se connaître. Pour apaiser leur cortex cingulaire face à l’incertitude du comportement de tous ces anonymes, l’humain a inventé des rituels rassurants, des règles morales qui se sont transformés rapidement en religions. Pour simplifier, Sébastien Bolher nous explique que notre cortex cingulaire, nous pousse à chercher du sens à ce que nous faisons pour réduire l’incertitude.
Et puis est arrivée la Renaissance et des scientifiques tels que Galilée qui ont petit à petit déconstruit toutes les visions du monde sur lesquelles s’étaient bâties les certitudes des hommes. L’homme s’est cru capable de dominer et d’exploiter le monde, sans avoir besoin d’explication philosophique ou religieuse. Finalement, « nous la civilisation rationaliste occidentale – devenue la civilisation humaine globale dans sa majeure partie – avons cru pouvoir vivre sans sens ».
Or le cortex cingulaire est toujours là à réclamer du sens « Nous vivons alors dans une situation paradoxale où nous sommes stressés tout en étant entourés de confort ».
« Plongé dans un monde où règne le niveau maximal d’incertitude, d’une façon ou d’une autre, notre cortex cingulaire va s’arranger pour restaurer de la certitude à de plus petites échelles, puisqu’il ne peut le faire à celle, plus globale, de son existence ». Ce sera la sur-consommation de nourriture, de sexe, de drogues pour certains. D’autres se replient sur la nostalgie, ou sur une religion, une culture, des théories de conspiration… toute chose qui permet au cortex cingulaire de ne plus envoyer ses signaux d'alarme.
S’est ainsi construit une société de l’absurde, où tout est permis, où c’est la foire aux identités, construite autour du déni, où la vérité n’existe plus, où l’argent est devenu la référence absolue.
« Et cela aurait pu continuer ainsi. Mais cela n’a pas été le cas. Les comportements massifs de déni à travers la surconsommation, le contrôle technologique et l’argent ont finalement amené la mort à nos portes ».
Dans la dernière partie « comment retrouver du sens », l’auteur nous invite à « s’attaquer à la racine du mal qui détruit la vie, la Terre et l’Homme, la machine infernale que nous avons créée et qui se nourrit de quatre aliments démoniaques : la compétition, l’accélération, l’incertitude et la consommation », machine infernale activée par notre cortex cingulaire.
Pour cela, il faut créer du sens dans lequel le cortex cingulaire puisse se retrouver. Sébastien Bohler nous propose un avenir autour de trois sens : cosmique, social et écologique. Il nous invite ainsi à renouer avec le « sacré », à devoir « accepter de nous lier de nouveau les uns aux autres par des valeurs vitales au lieu de nous réfugier dans nos existences individuelles », à recréer de l’émerveillement pour la nature.
Et l’auteur de conclure : « L’homme du troisième millénaire est placé face au choix entre le sens et la puissance. La puissance est un leurre, nous le savons, mais nous devons maintenant aller jusqu’au bout de son procès. Une fois que ce sera fait, nous pourrons nous tourner vers notre avenir ».
Une écriture très fluide, des exemples concrets appuyés par des références scientifiques en font un livre passionnant, dont on peut juste regretter – comme dans le « Bug Humain » – que la partie constat soit beaucoup plus développée que la partie pistes de solutions.