« Michael Sandel est l’un des meilleurs philosophes de la morale et de la politique que le monde anglo-américain ait produit dans le dernier demi-siècle » nous dit Jean Pierre Dupuy, lui-même ingénieur et philosophe et professeur à Standford, dans une préface très riche.
L’ouvrage est le fruit d’une longue maturation de la réflexion de l’auteur – il a écrit les premiers textes sur le sujet il y a plus de 20 ans – autour de la question « Dès lors que l’on constate que les marchés ou le commerce modifie la nature des biens dont ils permettent l’échange, on doit se demander où les marchés sont pertinents–et où ils ne le sont pas. Et on ne peut répondre à cette question en débattant du sens et de la finalité des biens concernés tout autant que des valeurs qui devraient les régir ».
Formulée comme cela, la question pourrait être rébarbative. Michael Sandel nous la rend extrêmement concrète à travers une multiplicité d’exemples sur lesquels il se pose la question de la place du marché.
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On découvre ainsi qu’il y a un business de l’attente pour autrui (faire la queue pour d’autres moyennant rétribution), qui va jusqu’au trafic de rendez-vous médicaux,
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Il y a des incitations financières pour tout depuis des gratifications pour perdre du poids jusqu’à des pénalités de retard pour les parents qui arrivent après l’heure limite dans les crèches avec des effets pervers démontrés
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On peut acheter des excuses « nous demandons pardon pour vous », ou des discours de mariage
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On peut vendre son sang ou ses organes
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On peut acheter le nom d’un stade et pratiquement tout, y compris un lancer de balle de baseball dans le mode sportif
Dans de nombreux cas présentés, on voit bien que l’introduction d’argent dans un contexte non-marchand modifie les attitudes individuelles au point d’évincer les engagements moraux et civiques (« le marché évince la morale »).
Le chapitre le plus marquant « marchés de la vie et de la mort » traite des assurances vie et des trafics financiers autour de ces assurances vie, qui deviennent non plus une protection de la famille, mais un pari financier sur la vie ou sur la mort d’un individu. De plus, il nous présente un projet, heureusement avorté, de « marchés à terme du terrorisme » ; l’idée développée par le ministère de la défense américain était de laisser des investisseurs acheter et vendre des contrats à terme portant sur différents scénarios liés au Moyen-Orient (par exemple le roi de Jordanie a dit-il être détrôné ? Israël serait-elle la cible d’un attentat bioterroriste ?), en présumant que les plus gros parieurs seraient ceux qui détiendraient les meilleures informations.
Fin connaisseur des arguments des économistes qu’il fréquente depuis très longtemps au sein de l’université d’Harvard, Michael Sandel décortique pour chaque exemple les arguments des tenants du marché, avant d’apporter sa réflexion morale et philosophique sur le sujet.
La conclusion, c’est que, fascinés par le pouvoir des marchés, nous n’avons plus une économie de marché : nous sommes devenus une société de marché. Nous avons un mode de vie tel que les marchés et les valeurs marchandes s’insinuent dans le moindre aspect des affaires humaines et que les relations sociales sont réaménagées à l’image du marché.