Nicolas Legendre, Editions Flammarion, 2023
Nicolas Legendre est un journaliste parisien, mais il a une culture agricole puisque ses parents étaient exploitants agricoles en Bretagne. Envoyé par le journal Le Monde enquêter sur l’agriculture bretonne en 2018, il commence une enquête qui durera 7 ans et lui fera rencontrer près de 300 personnes de tous horizons et visiter vingt neufs fermes de tous types. En plus d’une série d’articles parus dans le Monde en 2023, l’ouvrage « Silence dans les champs » raconte cette enquête au sein d’un système agro industriel « profondément inégalitaire, foncièrement violent, souvent impitoyable avec les plus faibles ». Et surtout un système qui, malgré tous ses effets pervers bien identifiés, se maintient car il est « verrouillé par le poids du silence ».
« Très faiblement industrialisée jusque dans les années 60… la Bretagne est entrée dans la « modernité » grâce à l’agro-industrie ». Devenir la première région agricole et agroalimentaire de France ne s’est pas fait sans des coûts cachés : la pollution des rivières rendue visible par les algues vertes, des « cathédrales » porcines ou laitières, la disparition progressive des paysans, une nourriture industrielle très transformée… « En ces lieux peut être plus qu’ailleurs, le productivisme a bouleversé tout un monde ». S’est ainsi construit un système qui « enrichit considérablement les uns quand d’autres se contentent de survivre grâce aux subventions ou sont priés de s’estimer heureux « parce qu’ils ont du travail » ».
A travers l’ensemble des témoignages rapportés par Nicolas Legendre, on découvre que, pour se maintenir, ce système agro industriel a « entrainé des dérives que l’on pourrait qualifier de mafieuses ».
On voit ainsi témoigner des paysans victimes de représailles parce qu’ils ne se soumettent pas aux injonctions de leur coopérative ou du syndicat, on découvre les avantages en nature de ceux qui jouent le jeu, l’intimidation d’élus récalcitrants, le trafic d’influence…
Plus qu’une vraie enquête scientifique (il aurait alors fallu donner des noms, alors que beaucoup ont témoigné de manière anonyme pour éviter les représailles), c’est une description solidement étayée de la « chape de plomb » autour de l’agro-industrie bretonne que nous propose l’auteur. Parce que les témoignages recueillis « sont nombreux et parce qu’ils attestent, sinon de la vérité, au moins de réalités partagées, je considère qu’ils doivent être rendus publics ».
Un ouvrage qui a suscité beaucoup de témoignages après sa sortie « Ce que vous dites, c’est ce qu’on sait depuis tout le temps. Et que personne n’ose dire ». Mais aussi peu de réactions négatives. « Toutes virulentes qu’elles fussent, ces prises de parole n’en sont pas moins demeurées relativement isolées ». Dans sa postface, écrite en 2024, l’auteur constate les « mille et une nuances de silence » des acteurs de l’agro-industrie, qui caractérisent bien l’« omerta » qu’il nous a décrite.