Compétition, expansion infinie et déconnexion du monde vivant sont trois mythes fondateurs de notre société depuis déjà plusieurs siècles. Nous baignons dans une philosophie qui nous dit que dans l’arène impitoyable qu’est la vie, nous sommes tous soumis à la “loi du plus fort”, la loi de la jungle. Cette mythologie a fait émerger une société devenue toxique pour notre génération et pour notre planète.
Aujourd’hui, les lignes bougent. Un nombre croissant de nouveaux mouvements, auteurs ou modes d’organisation battent en brèche cette vision biaisée du monde et font revivre des concepts devenus désuets comme “altruisme”, “coopération”, “solidarité” ou “bonté”.
Le livre de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle est complétement dans cette dynamique. Faisant appel de manière transversale à l’ensemble des disciplines scientifiques, de la biologie à la philosophie, de l’éthologie à l’économie, il nous propose un fabuleux voyage pour découvrir que l’entraide est un fait omniprésent dans le monde vivant, y compris dans notre monde humain. « Ce n'est pas un traité de collapsologie, ni une critique de la société de consommation et du capitalisme, pas plus qu'une encyclopédie naturaliste ou un traité philosophique. C'est une tentative pour faire du lien entre tout cela ».
Dans le premier chapitre « histoire d’un oubli », ils décrivent de manière pédagogique les évidences scientifiques qui montrent que l’entraide est omniprésente dans le monde vivant. En effet, un examen attentif de l’éventail du vivant révèle que, de tout temps, les humains, les animaux, les plantes, les champignons et les microorganismes – et même les économistes ! – ont pratiqué l’entraide. Ils nous expliquent aussi comment ces évidences scientifiques ont été longtemps écartées par la pensée dominante.
Le chapitre deux observe les capacités d'entraide chez les humains et nous montre que ce qui fait de nous des êtres ultra-sociaux provient à la fois de notre passé de mammifères et de primates, de l'entrelacement que nous avons tissé avec l'environnement durant des dizaines de milliers d'années, et aussi de notre longue histoire culturelle et de nos interactions sociales actuelles .
Le chapitre trois s'intéresse aux interactions entre individus : le triptyque de -donner recevoir rendre- est le cœur de l'entraide et de tout lien social. Avec l'augmentation du nombre d'individus dans un groupe, apparaissent d'autres mécanismes qui permettent de créer une réciprocité généralisée à l'ensemble du groupe : le phénomène de réputation, la récompense des comportements vertueux et la punition des comportements antisociaux. Ces mécanismes se traduisent par des normes sociales partagées, qui sont pérennisées par des institutions.
Le chapitre quatre décrit la dynamique plus fine des groupes humains, en particulier les conditions qui font que des individus se mettent au service du groupe. Pour cela, trois ingrédients sont nécessaires : le sentiment de sécurité éprouvée par tous les membres du groupe, le sentiment d'égalité et d'équité, et le sentiment de confiance qui permet à chaque individu de donner le meilleur de lui-même pour le bien du groupe.
Dans le chapitre cinq les auteurs nous font part des facteurs extérieurs qui influencent l'entraide au sein d'un groupe : la présence d’ennemi commun, un milieu hostile et l'existence d'un objectif commun. Et ils nous font réaliser que ceux qui survivent le mieux aux conditions difficiles ne sont pas forcément les plus forts, mais ceux qui s’entraident le plus.
Le chapitre six plonge dans le temps long et examine les caractéristiques qui ont permis à l'espèce humaine de devenir ultra-sociale : de manière paradoxale, la force de l'être humain provient de sa vulnérabilité et de son interdépendance avec les autres.
Dans l'épilogue, les auteurs explorent la question qui leur est souvent posée : dans le cas d'un possible effondrement de la civilisation, allons-nous nous entre-tuer ? Sur la base de tout ce qu'ils ont décrit dans l'ouvrage, il est clair que dans un premier temps de graves catastrophes provoqueront l'émergence d'actes d'entraide. Mais le risque le plus important, c'est que la culture de l'égoïsme et de la compétition qui imprègnent notre monde rende difficile la mise en place d’un mécanisme institutionnel indispensable pour prendre le relai des actes d’entraide spontanés et de gérer les conséquences d’une catastrophe à long terme. « L'âge de l'entraide doit donc commencer dès maintenant, à tous les niveaux et de manière anticipée, pour réduire au maximum l’effet de sevrage de la culture de l'égoïsme ».
Un livre passionnant qui allie la rigueur de l’analyse scientifique et la pédagogie avec une formidable capacité à croiser les différentes disciplines scientifiques.