L’histoire enfouie du remembrement
Inès Léraud, Pierre Van Hove, La revue dessinée/ Editions Delcourt, 2024
« Au sortir de la seconde guerre mondiale, l’Etat fait redessiner les terres agricoles dans la plupart des campagnes françaises afin que les champs soient accessibles par des chemins carrossables et facilement cultivables par des machines ». Ce remembrement a été réalisé de manière très énergique par les services de l’Etat sur une vingtaine d’années. Il a conduit à des affrontements importants avec des agriculteurs révoltés de voir détruit leurs territoires. Et on constate aujourd’hui son impact écologique majeur. Basé sur des travaux scientifiques et sur des témoignages de première main, la bande dessinée « Champs de bataille » nous raconte ce remembrement qui s’est déroulé entre 1950 et 1970.
Les années d’après-guerre, c’est une période où le message politique est clair : « Il faut produire plus de nourriture ». La solution, c’est l’agriculture intensive très mécanisée avec des engrais chimiques, d’autant que les américains sont prêts à fournir tracteurs et autres équipements dans le cadre du Plan Marshall. Cette intensification de l’agriculture, cela signifie des champs plus grands et plus accessibles aux gros engins. D’où le remembrement qui consiste à supprimer, chemins creux, haies et bosquets pour faire ces grands champs. Le corollaire de cette intensification, c’est la diminution drastique du nombre d’agriculteurs et de salariés agricoles (de 7 millions en 1946 à 3,8 millions en 1962), le « plus grand plan social qu’ait connu la France ».
La politique très volontariste de remembrement incluse dans les lois d’orientation agricole de 1960-1962 d’Edgar Pisani s’est rapidement heurtée à des résistances sur le terrain d’agriculteurs qui ne souhaitaient pas que l’on détruise leur verger ou leurs arbres. Des affrontements parfois violents ont eu lieu et, dans certains villages, le fossé entre les pro –remembrement (ceux qui étaient pour le « progrès ») et ceux qui se sentaient exclus et lésés est resté profond pendant des dizaines d’années.
On sait aujourd’hui que cette intensification de l’agriculture a des impacts écologiques majeurs. Le remembrement a contribué significativement à cette « catastrophe écologique », ce qui conduit aujourd’hui à recréer des haies, redonner de la sinuosité aux cours d’eaux, replanter des arbres…
Combinant documents d’archives et témoignages d’anciens qui ont vécu ce remembrement, alternant prise de recul et zoom sur des cas particuliers, cette bande dessinée nous raconte de manière très intelligente une histoire méconnue de cette transformation profonde de l’agriculture et des territoires qu’a été le remembrement.
