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COMMENT BIFURQUER ?

Les principes de la planification écologique

Cédric Durand, Razmig Keucheyan, Editions La découverte, 2024

« Le cœur du problème actuel réside dans la crise environnementale : les solutions de marché à cette crise ne fonctionnent pas ». A partir de ce constat qui commence à être largement partagé, les auteurs, Cédric Durand, économiste et Razmig Keucheyan, sociologue explorent la piste d’une planification écologique fondée sur la décroissance dans l’exploitation de la nature, sur la justice environnementale et sur la démocratie économique.

« La planification écologique n’a jamais été mise en œuvre à large échelle. La théoriser suppose donc un élément spéculatif ». Pour donner le maximum de réalisme à cette spéculation, les auteurs s’emploient tout au long de l’ouvrage à l’adosser à des cas historiques ou actuels. « C’est à partir d’une discussion critique du réel que ses potentialités émancipatrices pourront être identifiées et prolongées ».

Les premiers chapitres sont consacrés à montrer que la crise actuelle est structurelle.  « Elle résulte de tensions réelles entre l’impératif d’accumulation du capital et l’urgence écologique ». Et les démarches visant à instituer un « capitalisme vert » sont très largement insuffisantes « De retours en arrière en contournements des mesures, les actions engagées n’ont pas permis de mettre un frein notable à la crise ». De fait, il faudrait démanteler un appareil de production intensif en carbone et reconstruire « un appareil de satisfaction des besoins qui n’émette pas de gaz à effet de serre ». Cette bifurcation ne peut être réalisée par les marchés et il faut « un nouvel horizon d’intervention publique et technique : accompagner lucidement la fermeture d’organisations destructrices de la nature ».

Il faut donc « politiser l’économie » et aller vers un Etat socialisateur « l’Etat dans l’anthropocène sera un Etat socialisateur : il sera amené – il l’est déjà – à prendre en charge de plus en plus de risques environnementaux, aussi bien financièrement qu’en terme de sécurité civile ».

Une fois le constat fait, les auteurs mettent en place les « pièces d’un puzzle » qui permet de penser la planification écologique du 21ème siècle.

En matière de besoins humains, il y a une « double universalité ». Une universalité spécifique : tout être humain doit manger, respirer un air non pollué, se protéger du froid, dormir… Mais aussi une universalité démocratique : si la satisfaction des besoins n’est pas soutenable sur le plan écologique, il faut « renoncer au besoin ou trouver une autre manière de le satisfaire ».

« La transformation actuelle de l’environnement n’est plus l’expression d’une maitrise croissante du monde dans lequel nous vivons, mais au contraire le signe d’une perte de cette maitrise ». Il faut donc reprendre le contrôle. Les auteurs prennent le temps de décrire dans le détail « comment l’économie est (mal) informée et en particulier les limites de la rationalité marchande », ce qui conduit à l’idée d’une nécessaire planification.

La pièce du puzzle suivante, c’est la comptabilité écologique, c’est-à-dire développer des méthodes pour mesurer « combien ? comment ? Et dans quelles dimensions les activités de production et consommation affectent-elles les écosystèmes ».

La planification écologique exige un très fort niveau d’investissement, sans que la rentabilité soit immédiate. Il est donc nécessaire de « socialiser l’investissement » de façon à retirer le « filtre de la rentabilité, afin d’orienter l’économie en fonction des besoins ».

De même « la garantie de l’emploi constitue une protection pour l’ensemble des travailleurs contre les vicissitudes de la bifurcation écologique tout en promouvant des activités productives intensives en travail, mais légères pour l’environnement ».

La question suivante, c’est l’orientation de la demande, qui est aujourd’hui pilotée par les entreprises en particulier à travers la publicité. « Il faut que la consommation fasse irruption dans la production de manière à imposer la prééminence des besoins sur l’activité économique ».

Dans la dernière partie de l’ouvrage, les auteurs s’intéressent aux institutions politiques qui permettraient de « construire un fédéralisme écologique qui étende son emprise sur le fonctionnement de l’économie via la délibération sur les besoins ». Pour cela, ils s’inspirent des leçons chinoises, de l’expérience de la planification française après la seconde guerre mondiale, pour dégager la « colonne vertébrale de la planification écologique : commissions post croissance, constitutions vertes et services publics ».

Le dernier élément du puzzle, c’est la légitimité démocratique « on ne fera rien sans convaincre le plus grand nombre ». Or aujourd’hui, « l’état lamentable dans lequel se trouvent les démocraties représentatives est problématique pour la planification écologique ». Il est donc nécessaire de compléter la démocratie représentative par de la démocratie participative et délibérative et redonner du pouvoir aux parlements face à la technostructure.

Pour conclure, les auteurs insistent sur la dimension sociale nécessaire de la planification écologique : « sans garanties sociales contre les risques de transformation ni mécanismes d’inclusion démocratique, le soutien des classes populaires à la planification écologique risque de faire défaut. Or, sans elles, elle ne peut advenir ».

Un livre parfois un peu ardu à suivre pour les non experts, tant il multiplie les exemples et les références, avec des formulations parfois un peu complexes, mais qui ouvre beaucoup de pistes très pertinentes pour une planification écologique qui semble indispensable pour vraiment bifurquer.