L’anticapitalisme du 21e Siècle – Albena Azmanova , Editions du seuil 2023
Albena Azmanova est d’origine bulgare : elle a connu le socialisme totalitaire des pays de l’Est dans sa jeunesse et elle vit aujourd’hui dans le monde capitaliste. Professeure de Science politique et sociale, elle a enseigné à Sciences Po et à la New School For Social Research à New York et est aujourd’hui à l’Université du Kent.
L’objectif de son ouvrage est clair et annoncé dès le titre : donner des pistes pour sortir du capitalisme, capitalisme dont la forme actuelle engendre une précarité généralisée. L’originalité de l’approche, c’est qu’elle ne parle pas de renverser le capitalisme, ni de le réformer, mais de le dépasser en « le subvertissant de l’intérieur ».
Son ouvrage part d’une analyse de la forme actuelle du capitalisme : après le capitalisme libéral du 19ième siècle, le capitalisme régulé de la première moitié du 20 ième siècle après l’Etat Providence, après le capitalisme néolibéral des années 80, nous sommes entrés depuis le début du 21ième siècle dans un capitalisme de précarité. Cette dernière période du capitalisme est liée à la mondialisation : « maintenir la compétitivité des économies nationales est devenu l’une des principales préoccupations politiques ». Ce qui conduit à des logiques de « premier de cordée » comme exprimé par Emmanuel Macron. « L’autorité publique attribue activement des opportunités aux acteurs économiques les plus puissants en les aidant à renforcer les avantages dont ils jouissent déjà dans l’économie mondiale ». Par contre cette nouvelle logique « ne se préoccupe pas des conséquences sociales des politiques économiques, telles que la montée des inégalités, la pauvreté et la précarité, et ce même quand la croissance économique est effectivement au rendez-vous » . Autrement dit, l’Etat privilégie ceux qui sont déjà les gagnants de la mondialisation, en réduisant les budgets alloués aux services sociaux essentiels et abandonnant à leur sort les « premiers de corvée ». La compétition mondiale effrénée pour le profit engendre ainsi une précarité multiforme qui affecte toutes les catégories sociales : peur des fins de mois difficiles, stress induit par les pressions subies au travail, insécurité de l’emploi, dégradation des services de santé, etc.
« L’économie politique de l’insécurité et de la précarité massive a généré une insatisfaction générale vis-à-vis du capitalisme ». Cette précarité qui touche de plus en plus de gens ( « nous sommes les 99% ») devrait générer une réaction politique pour une transformation radicale du système politico économique. « Et pourtant, cette même insécurité entraine une expression politique conservatrice ou réactionnaires ».
Dans un chapitre passionnant, l’auteur analyse l’évolution du paysage idéologique en ce début de 21ième siècle. Il y a eu un « éclatement des vieilles familles idéologiques de la gauche et de la droite ». La structuration de la vie politique se fait selon un axe risques / opportunités. Nous n’avons aujourd’hui le choix « entre un populisme xénophobe et une politique pilotée par le monde des affaires ». De plus « Ce qu’il y a de plus déconcertant à propos de la nouvelle cartographie idéologique de l’occident, c’est qu’elle ne laisse aucune place à l’utopie- à un projet global dessinant les contours d’un avenir meilleur pour toutes et tous ».
Et c’est là qu’intervient l’originalité du discours d’Albena Azmanova. Pour elle, il ne faut pas grand-chose pour que l’ensemble des déçus du capitalisme se rassemblent « Et si cette large communauté d’intérêts venait à constituer une force sociale soutenant un même projet politique, alors s’ouvrirait la possibilité d’une transformation radicale, sans émeutes , juste par la force des urnes »
Sans présenter un programme politique en tant que tel, l’auteur nous donne quelques idées sur « à quoi pourrait ressembler le chemin de l’émancipation » . Pour elle, il faut d’abord faire sortir les plus démunis de la spirale de peur et leur redonner une capacité d’action. « dans une situation d’insécurité, les énergies créatrices de la colère sociale se retrouvent prisonnières d’instinct conservateurs – c’est la peur qui oriente aujourd’hui le malaise social sur la voie réactionnaire de la xénophobie et des appels à l’autorité et à l’ordre ». Comme le dit Jacques Généreux dans sa préface il faut « apporter à la multitude la sécurité dont elle a besoin pour se projeter dans le futur et échapper au stress qui inhibe toute réflexion ». Une redistribution des richesses (avec une taxation des riches) s’impose donc.
Mais il faut aussi travailler sur « l’impact des inégalités sur la capacité d’agir des individus dans la sphère du politique » et en particulier revoir le système du financement des campagnes électorales.
De plus , il faut remettre entre les mains d’acteurs publics « les oligopoles extracteurs de rente dans les secteurs peu exposés à la concurrence , comme l’électricité, le gaz et l’accès à Internet ». Enfin il faut s’attaquer à la logique même du système qu’est la « production concurrentielle du profit ».
Un ouvrage très accessible (on peut tout à fait sauter le chapitre le plus théorique sur l’analyse du capitalisme ) qui donne une analyse très pertinente des évolutions du capitalisme et du blocage politique actuel. Et surtout un livre qui ouvre des perspectives : oui il y a des alternatives au capitalisme de précarité actuel et elles sont accessibles par la voie démocratique.