Une autre histoire des humains sur la Terre
Christian Grataloup, Editions les Arènes, 2023
« Géohistoire », est un récit historique écrit par un géographe. L’auteur part du constat d’une part de l’importance des connexions géographiques entre sociétés pour expliquer leurs histoires et d’autre part que « l’histoire humaine est partie prenante de la biosphère ». Il a donc rédigé un livre qui « se veut à la fois invitation au voyage historique et lecture géographique du passé ».
On découvre ainsi comment, partie de l’Afrique, l’espèce humaine à progressivement occupé l’ensemble de la planète, comment se sont construits les organisations humaines qui ont conduit aux « empires- monde » et aux « économies-monde », comment les ressources (agricoles, mais aussi métaux) ont façonné l’histoire. Et dans les derniers 5 siècles, comment a été réalisée de manière très brutale par les européens une mondialisation qui a fait disparaitre 90% de la population amérindienne.
Les premiers chapitres décrivent comment, tirant parti des périodes de réchauffement de la terre, les différentes espèces humaines sont progressivement montés d’Afrique vers le nord, pour occuper tout ce que l’auteur appelle l’Eufrasie. Comment, passant par le détroit de Béring, l’homo sapiens a occupé l’ensemble des Amériques, et comment les humains ont appris à naviguer pour coloniser tout le Pacifique jusqu’à l’Australie.
Les chapitres suivants se concentrent sur « l’axe du monde », cette zone qui va de l’Europe à la Chine en passant par le nord de l’Afrique et le moyen orient. Cette zone a été structurée pendant de nombreuses années par des empires sédentaires (romain, perse, chinois, russe) et les empires des cavaliers des steppes d’Asie Centrale (empire mongol), avec des interactions fortes, les cavaliers des steppes profitant de tous les moments de faiblesse des empires sédentaires pour les envahir, quitte à se faire assimiler. C’est dans cette zone qu’est apparue la première pandémie quasi-mondiale (elle n’a pas touché les populations américaines et du Pacifique) : la peste noire s’est diffusée le long de la « route de la soie » depuis l’Asie vers l’Europe au 14ième siècle et a tué près du tiers de la population concernée.
L’auteur nous décrit ensuite ce qu’il appelle « la bifurcation du monde », ce moment où, au 15ième siècle, les européens ont brusquement accéléré la mondialisation en allant explorer par bateau des terres non connectées à cet « axe du monde ». La « découverte » de l’Amérique par Christophe Colomb en 1492 en est une étape symbolique, mais d’autres explorateurs ont utilisés les courants marins pour explorer le sud de l’Afrique (Vasco de Gama). Cette exploration s’est accélérée quand les explorateurs ont rapporté dans leurs pays des nouvelles ressources comme le sucre ou le coton, mais aussi et surtout l’argent des mines d’Amérique du Sud. Et comme les virus apportés par les « conquistadors » ont tué 90% des populations amérindiennes, les européens sont allé chercher en Afrique les « ressources humaines » dont ils avaient besoin. Le résultat c’est entre 13 et 15 millions d’Africains déplacés vers les Amériques.
Mais cette mondialisation ne s’est pas limitée aux Amériques, contournant l’Afrique, les européens ont lentement pénétré, soit par le commerce soit par la colonisation, l’ensemble asiatique (Inde, Asie du sud Est) et les Iles du pacifique. Et au 19ème siècle, la colonisation se déploie en Afrique, faisant dire à l’auteur que « l’Europe a pu s’offrir le monde » et est restée pratiquement maitre du monde jusqu’à l’effondrement de la première guerre mondiale qui a vu le démarrage de la décolonisation.
L’ouvrage se termine par une présentation du « puzzle mondial » actuel et « des grandes fractures qui forment aujourd’hui nos grilles de lecture de la carte du Monde », incluant bien entendu les enjeux démographiques et écologiques.
Et maintenant ? « Le point final de la géohistoire des humains n’est pas posé. S’il est possible de nourrir de graves inquiétudes pour le court ou le moyen terme, la conscience de ces menaces est tout autant un facteur d’espérance… il reste encore au moins 5 milliards d’années avant que le soleil, devenue une géante rouge, ne calcine notre planète. Cela vaut la peine de mieux aménager notre maison commune ».
Scientifique reconnu et très expérimenté, Christian Grataloup a choisi une forme d’écriture pour le grand public, sans note de bas de page et avec une bibliographie légère. Il en résulte un ouvrage très pédagogique et fluide à lire complété par une cartographie très riche.