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HABITER LA TERRE

Entretiens avec Nicolas Truong

Bruno Latour, Les Liens qui Libèrent et Arte Editions, 2024

Bruno Latour est un philosophe et sociologue dont la pensée a marqué notre époque. Une des caractéristiques de son activité, c’est qu’il a travaillé sur des sujets très éclectiques en utilisant des méthodes atypiques. « Je me suis intéressé à des sujets très divers comme les sciences, le droit, la fiction, avec des méthodes un peu bizarres ». 

Lors d’entretiens menés avec le journaliste Nicolas Truong en 2021, quelques mois avant sa mort, Bruno Latour fait la synthèse des différentes facettes de sa pensée. « J’ai suivi une ligne du début à la fin, qu’il est maintenant temps de pouvoir éclaircir ».

La trame de la pensée de Bruno Latour, c’est qu’il va falloir « s’habituer à un monde écologisé et non modernisé », autrement dit, après avoir vécu hors sol pendant des dizaines d’années, il va falloir réapprendre à « habiter la terre ». C’est un changement de monde qui suppose que l’on accepte la fin de la modernité : « On a fini la modernité. Elle est une parenthèse, un moment de l’histoire qui arrive à son terme ».

Pour aider à penser ce changement, il a utilisé le concept de Gaia : « Il faut penser que l’environnement est fait par les vivants et non pas, comme on le croyait avant, que les vivants occupent un environnement auquel ils s’adaptent ».  Et pourtant il ne peut que constater « qu’une civilisation entière, affrontée à une menace qu’elle connait parfaitement, ne réagit pas ». D’où sa proposition de méthode « Où atterrir ? » qui consiste à « reprendre les choses à la base », c’est-à-dire « prendre conscience non seulement du monde où l’on vit, mais aussi de celui dont on vit ». Cette méthode, il l’a mise en œuvre sur certains territoires avec l’aide d’artistes ; « évidemment, c’est à un tout petit niveau, mais le grand n’est pas fait d’autre chose que du petit ». Ce travail avec des artistes est caractéristique de la méthode de Bruno Latour qui a beaucoup travaillé « en bande » pour inventer des dispositifs collectifs.

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Nicolas Truong interroge Bruno Latour sur les idées qu’il a développé dans ses différents ouvrages sur la nouvelle classe écologique, sur le religieux, sur la différence entre militant et activiste…

L’ouvrage se termine par une projection optimiste dans quarante ans sous forme d’un message à son petit-fils qui a un an. « Dans quarante ans, on regardera historiquement ensemble la période de déni, d’ignorance, d’incompréhension de la situation écologique dans laquelle on s’était plongé, tout au long de ce que j’appelle la parenthèse moderne. On la regardera ensemble comme une étrangeté ».

Il serait prétentieux en quelques lignes de résumer une pensée aussi riche que celle de Bruno Latour. C’est pourquoi je vous encourage à lire ce petit livre car « c’est tellement beau la philosophie ». Surtout une philosophie empirique et tâtonnante : « il faut trouver le dispositif collectif empirique qui permet à chaque fois de tenir et de préserver la diversité des modes – voilà peut-être ma contribution, en tout cas ma marotte ».