La réflexion que nous propose Baptiste Monsaingeon apporte une vision de sociologue sur le sujet des déchets (et non de technologue , comme c’est très souvent le cas).
D’abord le constat.
La poubelle est pleine, le monde étouffe sur nos déchets. À l’horizon 2100 nous devrions passer de 4 à 12 millions de tonnes par jour. Nos déchets, éparpillés jusqu’aux confins du globe, sont devenus les marqueurs indubitables de cette période ou l’homme est devenu une force géologique. Plutôt que de parler d’Anthropocène, ne faudrait-il pas plus simplement parler de Poubellocène ?
Ensuite l’auteur se livre à une réflexion sur l’évolution de la perception du déchet, car pour comprendre notre rapport actuel aux déchets, il faut d’abord connaître leur histoire.
Le déchet est une invention de la modernité industrielle qui en a fait un problème technique autonome. Jusqu’à la fin du XIXe siècle et l’action du préfet Poubelle, le déchet n’existait pratiquement pas, les matières résiduelles faisant parti de la vie de la ville et de sa richesse.
Petit à petit le déchet est séparé de la ville pour être stocké pour un temps indéterminé. En même temps on voit se développer l’engrais chimique à la place de l’engrais animal, issus des matières résiduelles.
Le coût pour la collectivité des déchets urbains augmente régulièrement et là où le déchet constituait une ressource productive pour l’espace urbain, il tend désormais à devenir une charge, une externalité négative.
L’habitant doit payer pour le déchet : le déchet devient un état final et non un état transitoire. Tout au long du XXe siècle en s’institutionnalisant comme le produit d’un abandon, le déchet a été exclu à la fois des centres de vie et, en même temps, du champ de la perception des jeteurs.
Cette évolution a été facilitée par le développement de la société de consommation dans lequel le « jetable » devient un véritable art de vivre de la modernité : le déchet devient une conséquence nécessaire de la vie moderne….
A partir des années 70, le déchet devient un problème environnemental, à la fois en raison de sa surabondance et de la pollution qu’il génère. Plutôt que de regarder le déchet comme un indicateur de l’impasse dans lequel s’engouffre le modèle productiviste fondé sur la consommation de masse, plutôt que de faire une écologisation du social, on voit se développer une environnementalisation du déchet à travers des méthodes de gestion des déchets de plus en plus sophistiquées. C’est le temps de l’organisation de l’élimination des déchets et la création de lieux (décharges contrôlées, incinérateurs) où l’on peut traiter des déchets dans de bonnes conditions environnementales.
Dans les années 90, on voit apparaitre l’encouragement de la participation du public à la solution, à travers des démarches de tri et des organisations de type Eco emballages. En bien jetant, l’usager devient un écocitoyen….Mais bien jeter est devenu aussi un moyen pour continuer à (mieux) consommer.
En parallèle se développent des grands groupes multinationaux de la propreté et un marché international des déchets : une mise en économie de l’environnement. Et tout est fait pour que l’usager (le consommateur), à travers le « bien jeter » puisse oublier la grave crise écologique générée par la société de consommation.
Le plastique, auquel Baptiste Monsaingeon consacre un chapitre, est un bon exemple de cette crise écologique qui refait surface alors qu’on a voulu l’oublier complètement. Les quelques 275 millions de tonnes de déchets plastiques qui se retrouvent chaque année en mer ont fini par créer des « océans de plastique ». Le plastique est la « figure de proue de la modernité consumériste » : il a servi à développer de nombreux produits « prêts à jeter ». Mais c’est aussi le seul matériau que l’on ne trouve pas dans la nature. Ses qualités de produit résistant aux dégradations naturelles en font un déchet très visible.
Alors même qu’une grande partie de leur succès s’est fondée sur leur faculté à préserver l’environnement, sur leur capacité à protéger les biens de consommation, à les emballer, à les enjoliver, force est de constater que nous sommes désormais contraints d’essayer de nous protéger de leur prolifération invasive.
Et la réponse de l’auteur à la question posée en début de cette chronique est claire : Nous avons fait du déchet un problème autonome détaché des problématiques liées à notre façon de produire, de vivre et de développer les activités. En cherchant à faire disparaître les déchets, c’est comme si nous étions forcés d’effacer les preuves tangibles de l’insoutenable de nos modes de vie et de production.
Un livre marquant qui illustre comment on peut transformer un travail de recherche (l’ouvrage est fortement inspiré des travaux de thèse de sociologie de Baptiste Monsaingeon) en un ouvrage accessible à tous et qui change notre regard sur les déchets.