Du temps des chenilles à celui des métamorphoses – Patrick Viveret, Julie Chabaud, Editions Les Liens qui Libèrent, 2023
On parle aujourd’hui beaucoup de transition : transition énergétique, transition écologique, transition sociétale…. Or nous disent les auteurs – un philosophe très engagé et une psychosociologue qui a piloté l’Agenda 21 du département de la Gironde -, « la transition a été sabotée… il nous faut être plus radicaux dans la perspective comme dans le diagnostic, et raisonner désormais en termes de métamorphose ». Pour illustrer leur propos, ils filent donc la métaphore d’une des métamorphoses les plus connues, la chenille qui se transforme en papillon. Il s’agit bien d’un changement radical, car « du point de vue de la chenille, le papillon, c’est la fin du monde, en tout cas de son monde ».
Face à une situation où l’on peut céder « aux dénis…aux perspectives déprimantes de l’effondrisme, ou à l’aquoibonisme », les auteurs font l’hypothèse « qu’il nous faut nommer et comprendre cette phase critique si nous voulons nous saisir des moyens de la surmonter ».
Ils ont donc construit un ouvrage en deux parties :
La première partie est un plaidoyer pour sortir du temps des chenilles autour de 10 thèmes « La transition a été sabotée/ Il faut désormais penser en thème de métamorphose/ et s’équiper pour traverser le chaos de la chrysalide/ cela nécessite d’identifier la période historique dans laquelle nous sommes/ et partager l’enjeu de la civilité humaine/ pour viser une métamorphose très humaine/ Ainsi considérer l’espèce humaine comme une espèce en voie d’apparition/ s’inscrit dans une radicalité créatrice et démocratique/ qui promeut l’eco-convivialisme face au brutalisme ».
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, les auteurs proposent 21 chantiers pour cette métamorphose organisés autour de 5 axes :
- Il faut d’abord « Comprendre les anticorps des chenilles », autrement comprendre les freins que ce soient les sabotages conscients de la transition par des acteurs ou les peurs et inerties. « Dans la biologie de la chenille, son système immunitaire se défend contre le développement des cellules imaginales qui produiront le futur papillon à l’issue de la métamorphose. Il nous semble qu’il nous en est de même dans notre société avec une virulence plus ou moins conscientisée des anticorps du système capitaliste, productiviste et chosificateur qui se défend de toute transformation »
- Il faut ensuite bien analyser « Les ruses de la chenille : pourquoi ne faisons-nous pas ce qu’il faut ? » : dans ces « ruses » on trouve le savoir sans effet (nous savons , mais nous n’y croyons pas ), la religion du progrès technique , la fascination du numérique, le « bug humain » , la « mélasse de l’angoisse » , la « glaciation émotionnelle » , ….
- « Les travaux de la métamorphose ». Pour réussir la métamorphose, il faut lier transformations personnelles et transformations sociétales, modifier notre rapport à la richesse et construire une écolo-nomie, métamorphoser le rapport au pouvoir pour passer de la domination à la puissance créatrice, mettre en place une démocratie convivialiste, retrouver du sens…
- Avant que la métamorphose soit complète, il nous faut « affronter le chaos, mais en étant guidé par l’espoir que c’est un chaos créateur ». Il nous faut nous équiper pour traverser ce chaos : assumer nos peurs, pratiquer l’art de furtivité (« agir dans le cadre des devoirs et des libertés publiques et privées, mais en passant sous les radars » ) , et surtout identifier les initiatives émergentes ( les cellules imaginales pour reprendre l’analogie du papillon) sur lesquelles s’appuyer de manière positive pour construire un monde plus humain.
- En fin il faut « se placer en posture de puissance créative »
Un livre foisonnant qui se veut un livre- chantier, car, nous disent les auteurs, il s’agit d’utiliser « les matériaux que nous avons réunis pour ce livre comme des éléments d’hypothèse ouvrant des chantiers aussi bien théoriques et pluridisciplinaires que pratiques et tournés vers l’action ».
Un ouvrage qui se veut aussi un contre récit positif qui « peut nous aider à nous libérer des chenilles insidieuses et voraces afin de participer à l’émergence de cette humanité en voie d’apparition que propose l’éco-convivialisme en réponse au brutalisme »