Manifeste d’écosocialisme
Paul Magnette, Editions La découverte 2022
Paul Magnette est un enseignant-chercheur engagé. Professeur de théorie politique à l’Université libre de Bruxelles, il maitrise parfaitement l’histoire des idées politiques. Bourgmestre de Charleroi depuis plus de 10 ans, il a été ministre de l’Énergie et du Climat au sein du gouvernement fédéral belge et ministre-président de la Wallonie. Il est actuellement président du Parti socialiste belge.
Son ouvrage dont le sous-titre est « manifeste d’eco socialisme » a pour objet d’établir que « le mal que les humains s’infligent les uns aux autres et celui qu’ils infligent à la nature ne sont pas deux combats entre lesquels nous devrions choisir, mais l’avers et le revers d’une même pièce », autrement dit que socialisme et écologie sont plus que compatibles. « La transition climatique n’est pas un problème psychologique, un problème de connaissance scientifique ou de capacité technique, pas un problème économique ou financier, mais une question de justice ».
L’ouvrage est divisé en quatre temps : critique, définitions, propositions, stratégie.
Le temps de critique donne à l’auteur l’occasion de désigner clairement l’adversaire : c’est le capitalisme, son idéologie de la croissance et les inégalités croissantes qu’il génère. « Si depuis un demi-siècle, et malgré les avertissements des savants, les enquêtes des journalistes, les anticipations des artistes et les mobilisations civiques, nous n’avons toujours pas pris le cap d’une transition résolue vers un monde sans carbone, c’est parce que ce choix suppose comme une condition sine qua non, un combat acharné contre les inégalités sociales et les hiérarchies, entre les nations et en leur sein. Un combat qui, très logiquement, se heurte aux résistances de tous ceux qui profitent de l’ordre actuel, et feront tout pour que rien ne change. Pour la quasi – totalité de la population mondiale, un monde neutre en carbone serait un monde meilleur que celui d’aujourd’hui. Seule une « oligarchie climatique», dont le mode de vie est largement responsable du désastre actuel, et qui a le privilège de ne pas être exposée à ses conséquences, a intérêt au statu quo ».
Les trois chapitres qui composent cette partie critique traitent respectivement :
– De la « question naturelle » qui devrait logiquement dominer notre époque, comme la question sociale avait structuré le 19iéme siècle,
– Des contre offensives du capital (obstructions, diversion et récupérations) pour « réduire voire empêcher toute décision menaçant de réduire leurs profits et leurs privilèges »,
– Des inégalités environnementales « si la crise climatique menace la survie de l’humanité, certains humains sont, face à ce péril, moins égaux que d’autres ».
Le deuxième temps est un temps de définition des principes de l’éco socialisme. L’auteur fait l’analyse de l’évolution de la pensée écologique, en particulier à travers le livre du philosophe Hans Jonas « Le principe responsabilité ». Il explore ensuite l’idée de miser sur une émotion puissante : la colère. « Si la peur est le sentiment fondateur de la pensée libérale, sous tendant la création de la loi civile et de l’Etat de droit, la colère est l’émotion fondatrice du socialisme, engendrant les institutions de solidarité et de protection sociale ». Il convoque pour cela la pensée de l’historien et anthropologue Karl Polanyi. Et il termine ce temps de définition « d’une société dans laquelle la rationalité économique est subordonnée aux besoins sociaux et aux équilibres naturels » en convoquant la pensée de Marx : non pas la pensée productiviste du manifeste du parti communiste qui veut la « soumission à l’homme des forces de la nature », mais celle d’un Marx jeune qui affirme que « la vie physique et intellectuelle de l’homme est indissolublement liée à la nature ».
Vient ensuite le temps des propositions. D’abord affronter l’oligarchie économique pour soustraire de la logique du marché les choix essentiels de la transition climatique, car comme le disent les économistes libéraux eux-mêmes « les émissions de gaz à effet de serre constituent le plus grand échec du marché que le monde ait connu ». Il faut aussi partager le pouvoir dans l’entreprise et réhabiliter les communs.
Ensuite, il est indispensable de « briser la spirale des inégalités » , en commençant par passer « de la croissance à l’accroissance », accroitre les investissements dans des biens collectifs et contenir l’écart des richesses ; « poursuivre le combat pour une fiscalité plus progressive et pour le rétablissement d’impôts sur la fortune est indispensable si l’on veut enrayer le cycle de concentration de la richesse qui s’est ouvert il y a une quarantaine d’années et ses conséquences climatiques et sociales dramatiques » . Enfin la transition ne pourra se faire qu’avec des personnes qui auront des réponses à leurs craintes légitimes de déclassement : il faut donc garantir à tous la sécurité d’existence à travers un travail et de la protection sociale.
« Quand on a construit la critique du monde dans lequel on vit et tracé les contours de celui dans lequel on souhaite vivre, reste à se poser la question centrale du politique, la plus difficile et souvent la plus négligée : comment passer de l’un à l’autre ? » C’est le temps de la stratégie que l’auteur articule autour de 2 grandes idées :
– Pour le peuple, par le peuple, c’est-à-dire reprendre le pouvoir démocratique sur des sujets souvent confisqués par les lobbies ou la technostructure : «inscrire résolument l’enjeu de la justice climatique au cœur des arènes démocratiques »
– Mailler les luttes, encercler le capitalisme, multiplier les formes de résistance et progressivement faire en sorte que le capitalisme et son idéologie de la croissance ne soient plus l’imaginaire dominant.
Et pour donner un contenu concret, l’auteur termine ce 4ième temps par 10 propositions très concrètes.
Le titre «la vie large » est une référence à la manière dont Jean Jaurès répliquait à ceux qui accusaient les socialistes de vouloir faire vivre tout le monde comme des pauvres . A travers ce manifeste très bien construit qui va de la réflexion des grands penseurs du 19ième et 20ième siècle, à un plan d’action en 10 points, Paul Magnette trace une voie à la fois désirable et praticable – sans escamoter les difficultés- pour que la transition climatique soit une occasion de se mobiliser pour que tous ( en dehors peut être de « l’oligarchie climatique ») puissent mieux vivre . « Nous en sommes peut être au point , après 40 ans de défensive, ou le socialisme peut repasser à l’offensive et fièrement reprendre sa marche séculaire.