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LE TRIOMPHE DE L’INJUSTICE

Richesse, évasion fiscale et démocratie

Emmanuel Saez, Gabriel Zucman, Editions du Seuil 2020

L’ouvrage de Emmanuel Saez, Professeur d’économie à l’université de Californie à Berkeley, et de Gabriel Zucman, aujourd’hui professeur à l’Ecole Normale Supérieure après avoir été professeur à Berkeley se situe dans la droite ligne des ouvrages de Thomas Piketty, à savoir une mise en perspective historique des évolutions économiques.

Les deux auteurs font une analyse de l’évolution de la fiscalité aux Etats Unis au cours du 20ième siècle et au début du 21ième siècle. Et leur constat est sans appel : « Alors même que leurs revenus ont explosé au cours des 4 décennies et que leurs fortunes ont atteint des sommets sans précédents, les Américains les plus riches ont vu leur taux d’imposition chuter. Au même moment, les salaires des classes populaires ont stagné, leurs conditions de travail se sont dégradées, leur endettement s’est envolé – et leurs impôts ont augmenté ».

L’ouvrage commence par raconter l’histoire de la « destruction du système fiscal hérité du New Deal, sans doute le plus progressif qui ait existé dans le monde ». En effet entre les années 30 et les années 70, « les américains les plus riches payaient, tous prélèvements compris, plus de 50% de leurs revenus en impôt. ».  Et depuis les années 80, les Etats Unis (et bien d’autres pays, dont la France) sont rentrés dans une spirale de réduction des impôts des plus riches : « une recrudescence d’abord de l’évasion fiscale, des responsables politiques, ensuite, qui sont paralysés par des ennemis supposément invisibles (ici les paradis fiscaux, là l’opacité financière) laissent le phénomène s’envenimer ; et des gouvernements qui, pour finir, baissent les impôts des plus riches sous prétexte qu’il est devenu impossible de les taxer ».

Dans le discours politique (que l’on retrouve en France aussi), il y a l’idée qu’il est devenu quasiment impossible de taxer les multinationales, car elles risquent de se délocaliser dans des pays à moindre fiscalité. La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à démontrer qu’il est loin d’être impossible qu’une poignée d’Etats agissant de concert (et même certains Etats unilatéralement) puissent mettre un terme à cette injustice fiscale et revenir à une taxation juste des plus riches. Les auteurs font une série de propositions « originales et concrètes, allant de la taxation des très grandes fortunes à celles des multinationales, et du financement de l’état social à la refondation de l’impôt progressif sur le revenu. »

En filigrane de toute cette analyse, il y a la question démocratique : « est-on bien sûr que l’effondrement de l’imposition des ultra-riches reflète le désir collectif de la société américaine » se demandent les auteurs. Et la réponse est claire : que ce soit l’essor de l’industrie de l’évasion fiscale, les nouvelles possibilités de contournement de l’impôt par les multinationales, ou la spirale de la concurrence fiscale internationale, Il s’agit « de forces qui se sont imposées sans que les électeurs aient leur mot à dire ». « Le triomphe de l’injustice fiscale est d’abord et avant tout un déni de démocratie ».

Un ouvrage de référence, très facile à lire et éclairé par de nombreux graphiques qui illustre bien que ce que certains donnent comme contraintes incontournables ne le sont pas et qu’il y a une multiplicité de futurs possibles. Dans l’ouvrage, les auteurs ont proposé des solutions : « Nos solutions ne sont pas parfaites, ni bien sûr les seules envisageables, mais elles ont le mérite d’être précises et opérationnelles, transparentes et étayées par les données et les théories à la pointe de la recherche universitaire sur ces questions ». Et ils ont monté un site https://taxjusticenow.org qui permet à ceux qui le souhaitent d’explorer d’autres possibilités.