Logo Chedd_propulse_par_apesa-1

L’INNOVATION MAIS POUR QUOI FAIRE ?

Essai sur un mythe économique, social et managérial

Franck Aggeri, Editions du Seuil, 2023

« L’innovation est la nouvelle religion moderne ». Effectivement depuis 50 ans, l’innovation est devenue à la fois « un impératif normatif qui s’impose à tous… et le phénomène empirique, centre de toutes les attentions, à la source de la croissance économique et des progrès ». Franck Aggeri, professeur de management à Mines Paristech s’attaque à ce « mythe économique, social et managérial » qu’est l’innovation. Il met en évidence dans un premier temps comment cette culture de l’innovation s’est créée, puis il analyse les limites de cette innovation qui vise le plus souvent à « servir le projet d’une croissance sans fin, de rendements financiers exorbitants ou de performances irréalistes ». Il nous propose dans la dernière partie des pistes pour refonder une innovation plus sobre et plus responsable.

La première partie retrace l’histoire de l’innovation. D’abord de l’utilisation du mot qui a pu prendre des connotations positives ou négatives selon les siècles. Puis à partir du 19ième siècle l’innovation est devenue un des éléments majeurs de la révolution industrielle, avec des penseurs comme Joseph Schumpeter qui a théorisé le modèle de « destruction créatrice ».  L’innovation s’organise d’abord sur un modèle linéaire, avec une innovation technologique fondée sur la R&D et portée par de grandes entreprises. Dans la logique néolibérale, ce modèle devient progressivement caduc et se développent des modèles alternatifs, plus proche de la logique schumpétérienne, s’appuyant sur des start-up et des clusters, de l’innovation ouverte et disruptive et sortant l’innovation du domaine technologique pour s’intéresser au management.

Ce qui caractérise cette période, c’est les efforts importants faits pour conforter « la croyance que la performance des entreprises en matière d’innovation détermine leur compétitivité à long terme ».

Au terme de cette enquête historique, l’auteur conclut que « tout se passe comme si le mot innovation avait remplacé celui, plus controversé de progrès et s’était imposé comme un concept œcuménique universel, désirable, associé à des changements nécessaires pour transformer la société ».

« Quel est le sens de cette course effrénée à l’innovation qui ne semble avoir aucun but sinon d’accélérer sans cesse pour ne pas tomber ? », et qui a de plus en plus d’effets indésirables. Dans la deuxième partie de l’ouvrage, l’auteur s’attache, non pas à faire un catalogue des effets indésirables, mais à analyser ce qui fait que ces effets indésirables sont souvent invisibles (effets différés, transferts de pollution, effet d’échelle…) et identifier les pistes pour les rendre plus visibles. Malheureusement « La normalisation est en retard sur les innovations, elle ne repère que les effets connus ». Il s’interroge aussi sur la face sombre des innovations financières et managériales : « Ce n’est pas la finance qui est au service de l’innovation, mais les innovations qui servent au développement de la sphère financière ».

Comment innover autrement ?  C’est le thème de la troisième partie de l’ouvrage qui veut « repérer les enjeux, les terrains, les dispositifs ou le combat pour imaginer des cultures alternatives de l’innovation plus conviviales peut être mené ». Cette partie est structurée autour de 2 grands axes : la responsabilisation des acteurs de l’innovation (incitations économiques, principe pollueur payeur, les REP, la RSE, l’évolution du droit des sociétés) et la voie de la sobriété qui conduit à l’écoconception, l’économie de la fonctionnalité, la réparabilité et la maintenance et les low tech.

La conclusion découle naturellement de tout ce qui a été exposé « il faut continuer à innover, mais il convient de la faire autrement, avec plus de discernement ». Et pour cela, il faut changer de regard sur l’innovation : « il faut changer nos cadres cognitifs, c’est-à-dire nos modes de penser, de voir et d’agir » et « s’affranchir des objectifs et des indicateurs de croissance ».

Un ouvrage très complet à lire pour comprendre la partie de mythe qu’il y a dans la religion de l’innovation et les pistes pour innover autrement.