La grande histoire des croyances et des spiritualités des origines à nos jours
Fréderic Lenoir, Editions Albin Michel, 2023
« Ce livre est le fruit de 35 ans de recherches en philosophie, sociologie et histoire des religions ». Depuis qu’il a commencé une thèse en 1988 sur la rencontre du bouddhisme et de l’occident, Fréderic Lenoir n’a cessé d’interroger la spiritualité et le phénomène religieux à travers enquêtes de terrain, recherches théoriques, mais aussi l’écriture d’ouvrages de vulgarisation. Même s’il n’est pas exhaustif comme le reconnait l’auteur, « l’odyssée du sacré » est une remarquable et très pédagogique synthèse de « la grande aventure philosophique et spirituelle de l’humanité ».
L’ouvrage est organisé en deux grandes parties. Dans la première partie, Fréderic Lenoir raconte l’évolution spirituelle des humains : l’aube du sacré pendant la préhistoire, avec principalement des croyances animistes-chamaniques, la naissance des dieux pendant le néolithique, le développement des religions du monde antique autour de 5 traits typiques :
« La croyance en des entités supérieures, l’existence de mythes qui fondent les croyances collectives, la distinction entre le sacré et le profane, l’instauration de rites sacrificiels pour honorer les dieux, la mise en place de lois et codes moraux fondés sur une transcendance, laquelle légitime le pouvoir politique ».
Et puis « entre 800 et 200 avant notre ère, le monde connait le plus grand bouleversement de son histoire à travers la naissance des religions universalistes et de la philosophie ». En Chine, en Inde et dans l’Occident apparaissaient de manière concomitante une nouvelle pensée religieuse et philosophique. « Pendant des millénaires en effet les religions polythéistes avaient envisagé le bonheur du point de vue du clan, puis de la cité. A partir de l’âge axial, l’être humain prend conscience de son individualité. Son salut se conjugue désormais au « je » ». Au Proche Orient, apparaissent les monothéismes que sont le zoroastrisme et le judaïsme. Pour les grecs, c’est par le biais de la philosophie que va évoluer la spiritualité. En Chine et en Inde, apparaissent « des courants de sagesse qui mettent en avant le salut individuel, les vertus morales et la connaissance rationnelle » sous l’impulsion de personnages hors du commun comme Confucius ou Lao Tseu en Chine et le Bouddha en Inde.
« Si l’hindouisme et les sagesses chinoises ne quittent pas pour ainsi dire leurs frontières d’origine et que le judaïsme et le zoroastrisme n’ont pas de vocation prosélyte, on assiste au cours des deux millénaires suivants à un essor mondial des trois grandes religions universalistes que sont le bouddhisme, le christianisme et l’islam, qui apparaitra un peu plus tardivement ». C’est l’essor mondial des religions du salut.
A partir de la Renaissance, c’est l’avènement du monde moderne avec l’esprit critique, l’individualisation et la globalisation : « On assiste à un projet majeur : l’émancipation de la raison à l’égard de la foi et celle de l’individu à l’égard de la tradition », bien illustré par la pensée de Spinoza (voir chronique de « Spinoza, l’homme qui a tué Dieu » de JR Dos Santos), ce qui conduit à une crise profonde des traditions religieuses. L’individualisation et le progrès des connaissances ont un revers de médaille. Comme le dit Marcel Gauchet, cité par l’auteur, « Nous sommes voués à vivre désormais à nu et dans l’angoisse, ce qui nous fut plus ou moins épargné depuis le début de l’aventure humaine par la grâce des dieux ». Autrement dit, sans le soutien de la religion, l’être humain est désemparé.
« Pour pallier à ce désarroi et cette incertitude…des courants conservateurs, traditionnalistes et réactionnaires vont apparaitre au sein des grandes religions historiques ». De plus, face au « scientisme » qui prétend que tout peut s’expliquer par la science, on voit aussi apparaitre en dehors des religions des mouvements spiritualistes et du spiritisme et de l’ésotérisme.
Cette vaste fresque de la spiritualité conduit l’auteur à s’interroger dans une deuxième partie « Pourquoi l’être humain est-il un animal spirituel ? » . Dans cette partie, Fréderic Lenoir rend compte « des positions les plus diverses sans prendre parti dans le seul souci de poser tous les éléments d’un débat passionnant et contradictoire ». Il est effectivement passionnant de cheminer dans la pensée d’auteurs qui ont développé « une pensée matérialiste et athée, voyant dans la spiritualité et la religion une dimension illusoire, aliénante, infantile » comme Nietzsche, Freud ou Marx ou Auguste Comte, mais aussi ceux qui « entendent montrer que la spiritualité et la religiosité sont fondées, chez de nombreux individus sur des expériences qui n’ont rien d’illusoire (Otto, Jung, Bergson) ». L’auteur fait aussi une incursion dans les sciences cognitives et neurosciences dont l’éclairage « pourrait expliquer le besoin que ressent l’être humain de croire et de donner du sens pour s’épanouir en profondeur ».
Au terme de ce voyage en spiritualité, l’auteur nous partage quelques réflexions personnelles sur l’urgence de la vie intérieure et de la spiritualité. « Être dans la gratitude plutôt que dans la plainte. Se réjouir du bonheur des autres, plutôt que d’en être jaloux. Découvrir qu’il y a plus de joie à donner qu’à recevoir. Se réconcilier avec soi-même et pardonner à ceux qui nous ont blessés. Apprendre à réussir sa vie et non pas seulement à réussir dans la vie, et, pour certains, espérer qu’elle ne sera qu’un passage vers un nouvel état d’être et de conscience. Toujours chercher la vérité et nous libérer des injonctions et des conditionnements culturels qui nous enferment. Découvrir que la liberté est autant intérieure que politique et résister à notre tendance à consommer toujours plus et à nous comparer sans cesse aux autres. Nous battre pour la justice et partager notre superflu. Prendre le temps d’aimer, de nous émerveiller, de vivre… C’est ainsi que nous serons en paix avec nous-mêmes, avec les autres et avec tous les êtres vivants… ».
Un ouvrage de référence.