Comme tous les pays qui doutent d’eux même, nous raffolons des modèles, et nous invoquons volontiers le modèle allemand, sa rigueur budgétaire, sa capacité à accepter des sacrifices pour restaurer la compétitivité de l’industrie…. « Aujourd’hui, on se sert beaucoup du modèle allemand pour vanter en particulier les réformes de Gerhard Schröder au début des années 2000 (…) Je crois que ce n’est pas du tout les raisons pour lesquelles l’Allemagne va moins mal que les autres… »
Bon connaisseur de l’industrie allemande de l’Allemagne pour y avoir travaillé plusieurs années, Guillaume Duval est rédacteur en chef du mensuel Alternatives Economiques.
Dans cet ouvrage très agréable à lire, il nous livre une analyse étayée des véritables raisons des succès actuels de l’économie allemande et d’une évolution en cours dans les politiques allemandes susceptibles de saper les bases de ce succès.
Dans la première partie (« Le modèle allemand ne date pas de Schröder »), , l’auteur s’attache à décrire les éléments structurants de la société allemande, qu’il est essentiel de comprendre afin d’appréhender son économie : un système de relations sociales très structuré, un monde du travail où le diplôme ne fait pas tout, un pays où l’entreprise n’appartient pas aux actionnaires, une forte spécialisation dans les biens d’équipement et les technologies vertes, une longue tradition de décentralisation qui permet de disposer partout d’un capital financier, culturel, social, humain suffisant pour innover et entreprendre, etc.
Les autres parties (« La réunification et son coût : mythes et réalités », « Le cas Schröder : anatomie d’une mystification », « Les vraies raisons du rebond de l’Allemagne d’Angela Merkel ») s’intéressent aux politiques menées depuis la réunification, et à leur bilan.
S’il est admiratif de la manière dont Helmut Kohl a mené la réunification, Guillaume Duval est très critique sur la profonde remise en cause de l’État social, menée au début des années 2000 par le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder : cette politique a fragilisé le modèle allemand : le développement spectaculaire de la pauvreté et des inégalités menace son avenir. Le marché du travail peut paraître plus florissant outre-Rhin, il comporte aussi des grandes parts d’ombre, bien décrites par l’auteur : pas de SMIC beaucoup de petits boulots …. Ses points forts sont, encore une fois, à mettre au crédit de la société allemande, plus qu’à celui des politiques conjoncturelles de Gerhard Schröder.
Si Angela Merkel a un peu minimisé cette déconstruction sociale, elle est restée sur la même ligne idéologique et elle a bénéficié du boom des pays émergents qui a permis à l’industrie allemande de profiter pleinement de ses atouts traditionnels.
Il n’en reste pas moins que les politiques menées depuis plus de 15 ans contribuent à appauvrir durablement l’Allemagne et à mettre en danger le pays et l’Europe, tout en donnant l’illusion d’être le « bon élève » qui réussit. La rigueur salariale a créé un déséquilibre entre la demande extérieure de produits allemands et la demande intérieure, et un déséquilibre entre épargne et investissement. Ce déséquilibre a conduit les institutions financières allemandes à prêter massivement aux voisins européens l’argent nécessaire à l’importation de biens allemands, pour ensuite faire figure de fourmis vertueuses et redresseuses de tort lorsque ces mêmes pays se sont retrouvés endettés à un niveau déraisonnable.
« L’extrapolation au futur des succès passés est une des constantes de la psychologie humaine (et des erreurs qu’elle pousse à commettre), mais Angela Merkel et ses compatriotes auraient tort de s’imaginer qu’ils seraient assurés d’un avenir radieux s’ils devaient perdre la protection que l’Union Européenne et l’euro sont susceptibles d’apporter à leurs citoyens…Les allemands gagneraient à méditer davantage sur les déboires des japonais qui paraissaient eux aussi promis à un bel avenir à la fin des années 1980 »