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PETIT TRAITE DE MANIPULATION A L’USAGE DES HONNETES GENS

Robert-Vincent Joule, Jean- Léon Beauvois, Presses Universitaires de Grenoble, 2014

Publié pour la première fois en 1987, l’ouvrage de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, tous deux chercheurs universitaires reconnus en psychologie sociale a été actualisé à plusieurs reprises (dont la dernière en 2014) et s’est vendu à près de 500 000 exemplaires (données 2022).

Les auteurs ont adopté une approche très pédagogique en nous racontant l’histoire de Madame 0, habitante d’un pays imaginaire, la Dolmatie. A travers une succession de saynètes au cours de laquelle madame 0 se fait manipuler par les différentes personnes qu’elle rencontre (commerçant, mendiant…), les auteurs illustrent les mécanismes qui peuvent être mis en œuvre pour obtenir de tierces personnes des choses qu’elles n’auraient jamais concédées autrement, autrement dit les techniques de manipulation (on « préfère pudiquement parler outre atlantique de technologies comportementales périphériques »).

En bons scientifiques que sont les auteurs, ce qu’ils nous présentent sont des « techniques adossées à des théories scientifiques et ayant fait la preuve de leur efficacité dans des recherches expérimentales de laboratoire ou de terrain ».

On découvre ainsi les pièges de la décision avec les phénomènes d’escalade d’engagement, de dépense gâchée ou de piège abscons : « un individu reste sur une stratégie ou sur une ligne de conduite dans laquelle il a préalablement investi (en argent, en temps, en énergie) au détriment de lignes de conduite plus avantageuse ». On en trouve des exemples à la fois dans les comportements individuels (entêtement à faire réparer une vieille voiture plutôt que de la changer) et collectifs (escalade d’engagement des américains au Vietnam).

La technique d’amorçage, c’est « la mise en avant par le manipulateur d’avantages fictifs dont le caractère illusoire est révélé in extremis ». Les auteurs nous donnent un peu de théorie pour nous expliquer pourquoi nous persévérons dans nos décisions « un effet de persévération, comme celui qui sous-tend le phénomène d’amorçage, repose sur l’engagement de l’individu dans la décision initiale ».

On découvre les résultats obtenus par la technique du « pied dans la porte » : on commence par « extorquer au sujet un comportement préparatoire non problématique et peu couteux » puis « une requête portant sur une nouvelle conduite, plus couteuse, est explicitement adressée au sujet ». A l’inverse la technique de la « porte-au-nez » « revient à formuler une requête trop importante pour qu’elle soit acceptée avant de formuler la requête qui porte sur le comportement attendu ».

Les auteurs nous décrivent « les petits trucs qui vont mettre en condition les personnes que vous souhaitez gagner à votre cause » :  les techniques du toucher, du « ce-n’est-pas-tout », de l’étiquetage, du « vous-être- libre-de », de « un-peu-c’est-mieux-que-rien », de « crainte-puis-soulagement », de « les-yeux-dans-les-yeux », de « pied-dans-la- bouche » – faire précéder sa requête d’une banale formule de politesse – et de « pied-dans-la-mémoire ».

A travers toutes les techniques décrites dans l’ouvrage, on réalise que « nous négligeons trop facilement ces petits comportements que l’on a su obtenir de nous, et auxquels nous n’attribuons aucune vertu déterminante, tant ils nous paraissent insignifiants et sans conséquences. Et pourtant, ils sont le socle sur lequel reposent les principales procédures de manipulation ».

Dans les derniers chapitres, les auteurs se penchent vers les applications concrètes des techniques de manipulation, utilisées au quotidien par nos amis, les marchands, les enseignants, les chefs et les managers.

Dans la conclusion, les auteurs partagent quelques réflexions autour du thème de l’utilisation de ces techniques de manipulation qui pourraient aller à l’encontre de la liberté de chaque être humain. D’une part, les techniques de manipulation peuvent être utilisées pour le bien des personnes « Lorsqu’il en va de l’intégrité psychologique ou physique d’une personne, serait-il éthique de refuser recourir à un savoir scientifique qui a fait la preuve de son utilité, au prétexte qu’il ne colle pas avec l’idée que l’on des déterminants des comportements humains, idée, qui plus est souvent fausse, mais à laquelle on tient parce qu’elle colle parfaitement à celle que l’on se fait de l’Homme et de sa liberté ».

D’autre part, il faut bien évaluer la liberté de nos décisions : « dans les menues situations de la vie sociale, lorsqu’un individu a pris une décision, nous ne pouvons que lui conseiller de bien analyser les pressions dont il a été l’objet, les normes de comportement auxquelles il s’est peut-être conformé, les injonctions explicites ou implicites qui pourraient lui être faites… et de n’en appeler à la liberté que pour les grandes décisions susceptibles d’infléchir le cours d’une existence ».

Un ouvrage que tout le monde devrait avoir lu, au minimum pour comprendre les manipulations des autres, au mieux pour utiliser ces techniques pour de bonnes causes.