L'Atelier Paysan, Editions du Seuil, 2021
L’Atelier Paysan est une « coopérative des technologies paysannes » qui forme à l’auto-
construction d’équipements adaptés à une agriculture bio et à échelle humaine. Confinés en
mars 2020 , les sociétaires de cette coopérative se sont livrés à un atelier d’écriture pour
prendre du recul et aller au-delà de leur travail sur les technologies paysannes. « Nous ne
voulons pas être une alternative, certes solide et conséquente, mais inoffensive face au
productivisme de compétition et de destruction ». Leur discours est donc celui d’un besoin
d’une transformation sociale. Car « le bilan d’un siècle d’industrialisation de l’agriculture et
de l’alimentation qu’elle produit nous semble partagé : il est catastrophique ».
Le premier chapitre propose un panorama historique de l’industrialisation de l’agriculture en
commençant par une réflexion politique sur les motivations politiques et idéologiques du
« sacrifice des paysans » et une description de la manière dont l’agriculture est devenue un
« débouché et fournisseur d’un certain nombre d’industries » voire « la fonction support du
développement industriel ».
Le deuxième chapitre tente d’identifier les facteurs qui assurent le maintien d’un modèle
agricole intensif… pourtant critiqué de toutes parts. Les auteurs nous montrent que
« l’ensemble des conditions économiques, institutionnelles et idéologiques qui verrouillent la
situation sont extrêmement lourdes et cohérentes ».
Le troisième chapitre s’intéresse aux « armes de destruction massive du monde agricole » , à
savoir les technologies agricoles imposées en toute impunité depuis des décennies. « Le
monstre mécanique de l’agriculture industrielle a déjà confisqué la terre aux paysannes et
paysans du Nord. Mais avec la robotisation, il confisque et saccage la terre partout dans la
planète, aux dépens des paysans, des derniers chasseurs cueilleurs et de tous les humains qui
voudraient en faire un usage plus coopératif et pérenne ».
On pourrait penser que les alternatives, comme celles promues par l’Atelier Paysan, seraient
de nature à progressivement ébranler le complexe agro-industriel. Le constat du quatrième
chapitre est qu’il n’en est rien et que ces alternatives contribuent à la stabilité du modèle de
production industrielle. « Derrière l’éthique colibriste des petits pas, derrière l’idée
apparemment sage que « chacun doit faire sa part pour éteindre l’incendie », nous voyons
une réticence à se situer dans un rapport de force pour agir sur les conditions systémiques ».
« Si nous ne reprenons pas une place conséquente dans le rapport de force autour de
l’exigence démocratique, il n’y aura pas de transition vers une vie convenable pour tous ». Le
cinquième chapitre est donc un appel à une « repolitisation en profondeur du mouvement
pour l’agriculture paysanne ». Cette repolitisation doit être beaucoup plus large que la
simple activité agricole et englober le dogme de la liberté absolue de circulation des
marchandises, la socialisation de l’alimentation à travers une « sécurité sociale de
l’alimentation » ou l’arrêt de la course à la puissance et à la technologie dans les
équipements agricoles . « A notre sens, c’est d’abord si nous parvenons à soulever ces débats
et à obtenir des victoires sur ces terrains du protectionnisme, du droit à l’alimentation et de
la désescalade technologique que les luttes pour la terre pourront se multiplier et rencontrer
des succès plus certains ».
Un livre manifeste très bien documenté qui affiche l’objectif « qu’un million de paysans au
moins s’installent dans les années à venir dans les plaines, les vallons et les montagnes de
France ». Et pour cela, il faut « reprendre la terre aux machines ».