« Il est un chœur envahissant aujourd’hui : celui qui, de la droite à gauche des politiciens aux intellectuels crie à la mort de la société, à la fin du vivre ensemble, à la dislocation sociale ».
L’objet de l’essai de Jacques Ion et d’apporter un démenti à cette idée fortement ancrée que l’engagement civique, militant, politique, etc. laisserait la place à l’égoïsme et au repli sur soi. Pour cela, il réalise une analyse fine des nouvelles formes d’engagement dans une société d’individus.
Tout d’abord, un constat : « l’engagement pour la cause publique n’est pas mort, voire n’a jamais été tant partagé ». Cela se traduit par exemple par plus de 30 000 nouvelles associations chaque année, avec une participation de plus en plus fortes, en particulier des femmes.
Mais cet engagement est plus individuel et s’éloigne des organisations déjà constituées (syndicats) ou des mouvements politiques. On voit se développer ce que Jacques Ion appelle un « engagement post-it » (court, passager) et « affranchi » (qui évite toute affiliation à un groupe d’appartenance), contre un « engagement timbre » (sur le temps long) et « affilié » (inscrit dans une appartenance à un groupe et à son référent idéologique et politique).
« On voit donc apparaître des collectifs organisés, non hiérarchisés, souvent indépendants, et dégagés de la sphère politique instituée. Ces collectifs apparaissent composés d’individus eux-mêmes partiellement sortis de l’emprise des appartenances héritées et apparemment davantage autonomes.»
Jacques Ion décrit alors le processus d’individuation de notre époque : c’est le passage de « l’individu anonyme » (individu abstrait caractérisé avant tout par un rôle et un statut) à « l’individu singulier » (individu réflexif valorisé par ses spécificités). A noter que ce processus d’individuation, n’est pas un processus qui va forcément vers l’individualisme.
Par contre, cette individuation représente une perte des repères que donnaient les rôles et les statuts et conduit à une forme de vulnérabilité : elle oblige ainsi « à redéfinir les modalités, voire les objectifs de l’action politique ».
Aujourd’hui « le politique paraît surtout ne plus résonner dans l’expectative des militants associatifs, de plus en plus nombreux à s’attacher à résoudre hic et nunc les problèmes dont ils se saisissent et qui, alors, considèrent les élus –surtout ceux de la nation– comme trop éloignés des enjeux concrets de la vie quotidienne ».
L’auteur plaide pour une nouvelle conception de la citoyenneté qu’il rattache, « par-delà les aléas de l'actualité », à un principe supérieur : celui de la dignité et à une citoyenneté où « l’estime de soi serait […] au centre des mobilisations contemporaines de la part d’individus toujours menacés d’humiliation ».
L’enjeu politique est donc à reformuler de manière relativement radicale pour s’adapter à une société d’individus singuliers. « On ne peut simultanément prôner la prise en charge des individus par eux-mêmes, appeler à la mise en œuvre de la citoyenneté par tout un chacun, et limiter l’action politique à un espace réservé où ne pourraient intervenir que des acteurs choisis par avance ».
Dans une société d’individus, la notion d’« intérêt général » ou de « bien commun » ne peuvent plus être des concepts quasiment transcendantaux dont les individus doivent s’accommoder. Il vaut mieux parler de « monde commun », qui correspond mieux aux enjeux d’articulation d’une pluralité d’individus singuliers. « La politique est précisément le lieu où cette diversité s’affronte sans cesse. La citoyenneté est le droit entre individus libres et égaux de manifester cette pluralité ».
On ressort de cet ouvrage conforté à la fois sur le fait que l’engagement est loin d’être mort, mais aussi très conscient que les structures politiques et un certain nombre d’autres organisations jadis représentatives de l’engagement ont un très fort besoin de changer pour s’adapter à l’évolution de la société.