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SPINOZA, L’HOMME QUI A TUE DIEU

José Rodrigues Dos Santos, Editions Hervé Chopin 2023

Le titre français de cet ouvrage est beaucoup plus provocateur que le titre initial en portugais « o segredo de espinosa ». On comprend bien pourquoi à la lecture du livre. Spinoza (1632- 1677) a développé une réflexion philosophique très moderne pour nous, mais complétement révolutionnaire pour son époque, remettant en cause les dogmes des religions qui coexistaient (et parfois s’affrontaient) en Europe à l’époque. Sa pensée était tellement éloignée de la pensée religieuse de l’époque que beaucoup l’ont accusé d’être athée. JR Dos Santos, journaliste et écrivain à succès de thrillers érudits, a fait un roman de la vie de Spinoza, mais un roman étayé par de nombreuses sources. De plus, il a utilisé les discussions entre Spinoza et ses proches, mais aussi des penseurs et scientifiques de son époque, comme Hobbes, l’astronome Huygens et le philosophe allemand Leibniz, pour nous présenter de manière très pédagogique l’essentiel de la pensée de Spinoza.

Bento de Espinosa est le fils d’une famille juive portugaise obligée d’émigrer au Pays Bas pour fuir l’inquisition catholique au Portugal. Remarqués par les rabbins de sa communauté pour son exceptionnelle précocité intellectuelle, il leur pose (et se pose) rapidement des questions dérangeantes, en s’appuyant sur la raison (il sera très inspiré par la pensée de Descartes) : il n’est pas convaincu que la Torah soit un écrit venant de Dieu, l’existence des miracles ne lui semble pas logique, les lois de Moïse ne lui paraissent pas des lois divines, mais plutôt des codes servant à réguler la société. Cette remise en cause des dogmes du judaïsme va lui valoir le « cherem » (une forme d’excommunication pour les juifs), c’est-à-dire l’exclusion complète de sa communauté (et interdiction de voir sa famille proche, ses frères et ses sœurs).

A partir de là, il va vivre une vie ascétique intégré à la communauté néerlandaise dans laquelle il trouve des disciples et des amis, et en développant une petite activité de production de lentilles optiques. Heureusement pour celui que les néerlandais appellent Benedictus, le gouvernement néerlandais de Johann de Witt est très libéral et tolérant ce qui lui permet de développer sa pensée avec son cercle d’amis. Toutefois sa pensée qui remet en cause les dogmes religieux qu’ils soient juifs ou chrétiens, n’est pas du gout des predikanten, gardiens zélés du protestantisme, qui l’accusent d’hérésie. Il doit donc être très prudent dans ce qu’il dit et ne publie que très peu. Et ce qu’il publie est en latin pour ne pas trop provoquer.

Le gouvernement de Johann de Witt ayant été renversé par Guillaume d’Orange en 1672, l’intolérance religieuse revient et la situation de Spinoza devient de plus en plus risquée car il est toujours la cible des fanatiques religieux. Par prudence, il ne publiera pas ses œuvres majeures, dont l’Ethique. Elles seront publiées par ses amis après sa mort.

De constitution très faible (probablement tuberculeux avec des complications liées à la silicose générée par son activité de polissage de lentilles optiques), il meurt en 1677.

Pour compléter toutes les indications sur la pensée de Spinoza fournies tout au long du roman, l’auteur fait une note finale, synthèse très utile de la pensée de Spinoza et des prolongements de cette pensée chez les philosophes du 18ième au 20ième siècle.

Qu’y-a-t-il dans la pensée de Spinoza qui ait tant choqué les religieux de son époque, qu’ils soient juifs ou chrétiens ?  

Le plus important est peut-être que contrairement à ses contemporains qui avaient une vision d’un dieu « surplombant », qui fournissait des textes (la Bible, la Torah…) pour guider les hommes, qui était capable de tordre les lois de la nature pour faire des miracles, Spinoza avait une vision d’un Dieu présent partout, à la fois dans la nature et dans l’homme et beaucoup moins « interventionniste ».

A partit de ce postulat d’un Dieu complétement différent de ce que l’on trouvait dans les religions de l’époque, il a tiré des conclusions qui ont scandalisés ses contemporains. D’abord , il a remis en cause le caractère divin de textes comme la Bible ou la Torah. Pour lui, ce sont des textes rédigés par des humains qu’il faut remettre dans le contexte de l’époque et surtout ne pas prendre au pied de la lettre « pour comprendre la Bible, il faut l’étudier avec les mêmes méthodes que celles utilisées pour étudier la nature ».

Ensuite si Dieu est présent dans la nature, il n’y a aucune raison qu’il intervienne pour modifier les lois de la nature, ce qui exclut l’existence de miracles. « Tout dans la nature s’explique par des lois naturelles ».

Pour Spinoza, l’âme n’existe pas. Ce qui existe, c’est l’esprit qui n’est pas séparé du corps et qui disparaît lorsque nous mourons. « Il n’y a pas d’immortalité , ni de résurrection ».
Dans la pensée spinoziste, l’homme n’est pas au centre de l’univers. Il est « aussi naturel qu’une souris, une pierre ou un grain de poussière… il n’a rien de spécial dans le tableau général de la nature ».

Enfin, considérant que beaucoup de religions « prêchent des superstitions », il a proposé un système fondé sur la raison, voire sur la science. « Ce concept a ainsi contribué à l’émergence ou au développement d’un nouveau type de religions, les religions politiques tels que la libéralisme, le socialisme, le nationalisme ».
Alors, la question que pose l’auteur est la suivante : Spinoza a-t-il tué Dieu ? Pour certains, Spinoza n’était pas athée, mais pour d’autres, en assimilant Dieu à la nature, il n’a conservé le mot Dieu que compte tenu du danger qu’il y avait à son époque de nier son existence.

Un ouvrage passionnant pour à la fois comprendre la vie d’un philosophe qui est allé au bout de ses idées, se mettant en danger dans une période de faible tolérance religieuse, et découvrir un tournant de la pensée philosophique qui a conduit à des modes de pensées que nous avons aujourd’hui.