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UN MONDE IMMENSE

Comment les animaux perçoivent le monde

Ed Yong, Editions Les Liens qui Libèrent, 2023

« La terre foisonne d’images et de textures, de sons et de vibrations, d’odeurs et de gouts, de champs électriques et magnétiques. Mais chaque animal puise une petite fraction de la richesse de la réalité. Chaque animal vit dans un monde clos, ne percevant depuis sa bulle sensorielle qu’une minuscule portion d’un monde immense ». L’objectif de Ed Yong, journaliste scientifique britannique est de nous faire découvrir, à nous humains qui avons notre propre bulle sensorielle, l’extrême diversité des capacités sensorielles des autres animaux.

Pour désigner l’univers perceptif, il utilise le mot allemand Umwelt popularisé par le zoologue Jacob Von Uexküll. Il commence son livre par une description d’une pièce imaginaire dans laquelle il y aurait un éléphant, une souris, un hibou, une chauve-souris, un serpent à sonnette, une araignée, un moustique, un bourdon…et un humain. Il nous décrit la manière dont chaque animal se repère dans la pièce (sons, ultrasons, odeurs, vue, vibrations …). Cela lui permet d’illustrer concrètement le fait qu’« une multitude de créatures peuvent se trouver dans le même espace physique et avoir des Umwelten complètement différents ».

Le reste du livre, c’est un voyage extraordinaire pour découvrir les capacités sensorielles des différents animaux. Ce voyage commence par l’odorat : on découvre quels sont les caractéristiques physiologiques qui font l’odorat développé du chien, mais aussi que la vie des éléphants est complètement déterminée par les odeurs.

Le chapitre sur la vue illustre par des exemples concrets le fait que « le règne animal connait tous les intermédiaires possibles depuis les simples photorécepteurs jusqu’au yeux perçants » Les pétoncles sont un cas étrange d’animal ayant une multitude d’yeux et un cerveau rudimentaire.

Un chapitre très pédagogique permet de comprendre comment se fait la vision en couleur. On réalise que, contrairement à ce que l’on croyait, « de nombreux animaux sont capables de voir les UV. C’est la norme. Les animaux bizarres, c’est nous ».

Difficile de rendre compte de la richesse et de la multiplicité des exemples présentés dans l’ouvrage : je vous laisse découvrir les rats-taupes nus qui sont capables de supporter des concentrations en CO2 jusqu’à 10%, les écureuils à treize bandes capables de supporter une température entre 2 et 7°C pendant 6 mois, les loutres de mer qui perçoivent les textures  par toucher beaucoup plus vite que les humains, les membracides (insectes suceurs de sève)  qui communiquent en générant des vibrations de surface sur les plantes sur lesquelles ils sont posés,  les baleines dont les chants se diffusent sur plusieurs milliers de kilomètres, les poissons électriques qui communiquent en générant des champs électriques, ou les tortues qui utilisent le champ magnétique terrestre pour s’orienter.

L’ensemble est raconté de manière très vivante mêlant les histoires des chercheurs que l’auteur a été rencontrer dans leurs laboratoires (ou en pleine nature) et des explications scientifiques tout à fait accessibles, le tout supporté par une abondante bibliographie. L’auteur n’hésite pas à expliciter les points sur lesquels il y a encore des doutes, ou pour lesquels les expérimentations sont quasi impossibles (on ne peut pas travailler en labo avec des baleines bleues pour comprendre à quoi servent leurs chants).

Tout au long de l’ouvrage, on voit apparaitre des erreurs initiales d’interprétation des phénomènes observés, très souvent liées à notre vision anthropocentrée et à nos préjugés humains. Heureusement des chercheurs opiniâtres ont progressivement mis en évidence des capacités sensorielles que nous ne pouvions imaginer. Lire un tel ouvrage nous conduit donc naturellement à une certaine humilité.

« L’humain est le seul capable de savoir ce que les autres peuvent percevoir et sans doute le seul à pouvoir s’y intéresser ». Cette connaissance nous impose des devoirs. L’activité humaine génère de la lumière même en pleine nuit et une activité sonore permanente à laquelle n’échappe aucun espace de la planète, même les plus reculés. Nous sommes ainsi en train de détruire les paysages sensoriels de multitudes d’animaux qui n’ont souvent pas d’autres solutions que de nous fuir ou de disparaitre. « L’extinction des espèces s’accompagne également de la disparition de leurs Umwelten. A chaque fois qu’un animal disparait, nous perdons une façon de donner sens au monde. Nos bulles sensorielles peuvent nous empêcher de savoir ce que nous perdons. Mais elles ne nous protègent pas contre les conséquences ». L’auteur conclut donc sur l’urgence de « sauver le silence et préserver la nuit », ce qui est un minimum pour sauver les paysages sensoriels des autres habitants de la planète.

Cette exploration d’un monde immense est un grand plaisir de lecture.