François Purseigle, Bertrand Hervieu, Presses de Sciences Po, 2022
Dans l’imaginaire de beaucoup en France, le modèle de l’agriculture ce sont les petites et moyennes exploitations autonomes. Pourtant « le monde agricole est rentré dans un processus de banalisation de ses métiers et de ses exploitations qui empruntent de plus en plus leurs modèles d’organisation à d’autres secteurs économiques ». C’est cette « révolution indicible », qui voit disparaitre l’exploitation agricole familiale au profit d’entreprises aux logiques de firme capitaliste, que les deux sociologues que sont François Purseigle et Bertrand Hervieu s’attachent à décrire dans cet ouvrage.
La première partie de l’ouvrage s’intéresse à la population agricole. Un nombre de chefs d’exploitation qui diminuent régulièrement, l’évolution des couples agricoles dans lesquels un des deux a une activité non agricole, le célibat, la pauvreté – « une précarité et une insécurité alimentaire de ceux qui sont censés nourrir la population », le suicide chez les agriculteurs, la patrimonialisation qui conduit à sous-traiter la gestion de l’exploitation, les difficultés de transmission. « Penser l’agriculture de demain revient à sortir du schéma classique de l’installation familiale ».
La deuxième partie analyse les divers modèles économiques des entreprises agricoles. Des exploitations dont la taille moyenne augmente régulièrement, mais avec une grande disparité, la concentration des productions dans les plus grandes exploitations, « la disjonction entre la réalité physique de l’exploitation et l’entité juridique qu’elle constitue », les inégalités de revenu « les 10% des plus faibles revenus sont des revenus négatifs », les travaux sous traités et la gestion déléguée, avec le « développement accéléré de la délégation intégrale ». On voit apparaitre de l’agriculture de firme, avec des logiques financières et de gestion patrimoniale, « avec un degré souvent faible de relation au territoire ». L’aval agroalimentaire joue un rôle important dans la rationalisation de l’activité des entreprises agricoles.
La troisième partie traite de l’occupation des espaces ruraux et de l’évolution des relations des Français avec les campagnes et avec l’agriculture. Longtemps, on a parlé de « l’unité paysanne » : le « petit paysan » a fait du pays « un jardin cultivé et ordonné ». A partir des années 1960, on est rentré dans une logique « minière » ou « la terre cessait d’être considérée comme un patrimoine : elle était désormais appréhendée comme un outil de travail ». Le petit paysan est devenu chef d’exploitation. Autour de l’an 2000, cette vision de l’unité paysanne a volé en éclats. La mondialisation a créé des écarts importants entre les agriculteurs. Les Français ont réalisé que « la production agricole pouvait prospérer tandis que l’environnement et le paysage étaient mis à mal ». Et surtout, pour beaucoup d’agriculteurs, leur survie est suspendue aux aides publiques, « un facteur massif de dépression collective et individuelle ».
La réduction drastique du nombre d’agriculteurs conduit à une « recomposition démographique, géographique et sociale de la France rurale ». Toutefois le monde agricole reste une « force politique visible et efficace ». Pour terminer cette partie, les auteurs relèvent 6 paradoxes des mondes agricoles qui peuvent expliquer la crise morale et économique que traverse l’agriculture.
Un ouvrage solidement étayé dont l’objectif est de mettre en face de l’ensemble des parties prenantes une réalité de l’agriculture bien différente de l’imaginaire véhiculé par médias et discours politiques.