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UNE BRÈVE HISTOIRE DE L’ÉGALITÉ

Thomas Piketty, Editions du seuil , 2021

« Les questions économiques sont trop importantes pour être laissées à une petite classe de spécialistes et de dirigeants. La réappropriation citoyenne de ce savoir est une étape essentielle pour transformer les relations de pouvoir ». C’est la motivation qui a poussé Thomas Piketty à écrire plusieurs volumineux ouvrages dont le Capital au 21e siècle.
Dans « Une brève histoire de l’égalité », il a voulu répondre à ceux qui lui disaient « c’est intéressant ce que vous écrivez, mais peut être pouvez-vous faire plus court, pour que je puisse partager vos recherches avec mes amis, ma famille ? ». Le pari est réussi puisqu’en
350 pages, sans sacrifier la rigueur scientifique, avec une quarantaine de graphiques très parlants, Thomas Piketty nous entraine d’une plume alerte pour découvrir ce mouvement de long terme qu’est la marche vers l’égalité.

« Il ne s’agit certes pas d’une histoire paisible, et encore moins linéaire. Les révoltes et révolutions, les luttes sociales et les crises de toutes
nature jouent un rôle central dans l’histoire de l’égalité qui va être étudiée ici. Cette histoire est ponctuée de multiples phases de retour en arrière et de replis identitaires ».
Le premier chapitre rappelle « les progrès historiques accomplis en termes d’éducation et de santé, avant d’examiner les questions hautement politiques posées par le choix des indicateurs socio- économiques » ; « de même que le revenu, la propriété est un rapport social ».

Le chapitre deux décrit la lente déconcentration du pouvoir et de la propriété depuis 1780 (aidée par deux guerres
mondiales et la crise de 1929) et le retour en arrière que l’on observe depuis les années 1980.

En matière de rapport social, il y en a un dont nous sommes sortis, mais qui explique une bonne partie de la richesse de l’occident, c’est le colonialisme assorti de l’esclavagisme. « Le développement du capitalisme industriel occidental est intimement lié aux systèmes de division internationale de travail, d’exploitation effrénée des ressources naturelles et de domination militaire et coloniale ». C’est l’objet du troisième chapitre qui au passage met à mal l’idée du libre-échange « Ce n’est qu’après avoir établi leur suprématie sur certains
produits que les pays devenus dominants se mettent à verser dans le discours libre- échangiste, ce qui en pratique aboutit souvent à placer des pays moins avancés dans leur dépendance durable »

Nous sommes sortis de l’esclavagisme et du colonialisme (souvent à travers des conflits durs), mais nous n’avons pas traité la question des réparations. « On peut considérer qu’une abolition juste aurait impliqué une compensation pour les esclaves au titre des décennies de
mauvais traitements et de travail non rémunéré ». Or dans la pratique, ce sont souvent les propriétaires d’esclaves qui ont reçu de substantielles compensations financières. Dans le cas d’Haïti, l’abolition de l’esclavage s’est même traduit par « une gigantesque dette
publique qui contribua à miner le développement d’Haïti au cours des deux siècles suivants », car pour voir reconnaitre son indépendance, le gouvernement haïtien a été obligé – sous la contrainte militaire – de s’engager à dédommager les propriétaires français d’esclaves. : un
montant qui a représenté 5% du revenu national haïtien par an entre 1840 et 1915. Et la dette ne fut définitivement éteinte qu’en 1950.
De plus ce n’est pas parce que l’esclavage a été aboli que ne demeurent pas de fortes discriminations : souvent les anciens esclaves étaient soumis à ce qui ressemblait fort à du travail forcé. Et dans les colonies « les populations colonisées acquittaient de lourds impôts
afin de financer des dépenses bénéficiant principalement à ceux qui étaient venus les dominer politiquement et militairement »
« Refuser tout débat sur les réparations, alors même que d’autres spoliations et injustices toutes aussi anciennes continuent de faire l’objet d’indemnisation, complique considérablement le développement de normes de justice universelle acceptables par le plus grand nombre »

Le chapitre 5 « Révolutions, statuts et classes », traite de fait de la démocratie. « La révolution française accomplit une étape essentielle en 1789 en abolissant les privilèges de la noblesse, sans mettre fin aux nombreux privilèges de l’argent ». Même si les logiques
censitaires (seuls les plus riches avaient le droit de voter) ont disparu, il suffit de regarder les élections américaines ou la concentration des médias dans les mains des plus riches pour voir que la ploutocratie n’a pas complètement disparu.
« Entre 1914 et 1980, les inégalités de revenus et de propriétés ont été fortement réduites dans le monde occidental ». Cette évolution est due pour partie aux luttes sociales (« la montée de l’état social »), accélérées par deux guerres mondiales et la crise de 1929 , mais
aussi au « développement de l’impôt fortement progressif sur le revenu et l’héritage ». 
La « grande redistribution » de la période 1914 – 1980 lègue des enseignements précieux : « l’état social et l’impôt progressif constituent des outils puissants permettant de transformer le capitalisme ». Malheureusement, on constate depuis les années 1980 un retour en arrière
lié au « rôle néfaste joué par la libéralisation financière et la libre circulation des capitaux » .


Le chapitre 7, « démocratie, socialisme et impôt progressif » propose des pistes pour reprendre la marche vers l’égalité et une meilleure distribution des richesses. L’égalité, c’est aussi supprimer les discriminations sociales et raciales, et donner en particulier une égalité d’accès à la formation et à l’emploi.

 

Le chapitre 8 « l’égalité contre les discriminations » donne quelques éléments concrets sur les inégalités d’accès à la formation
selon le revenu, sur la persistance du patriarcat, sur les discriminations positives, sur les discriminations raciales et religieuses.
Le combat pour l’égalité passe aussi par une transformation structurelle du système économique mondial.

Il faut « sortir du néocolonialisme » – chapitre 9- car « l’organisation économique actuelle, fondée sur la circulation incontrôlée des capitaux, sans objectif social, ni environnemental, s’apparente bien souvent à une forme de néocolonialisme au bénéfice des plus riches »

Thomas Piketty conclut son ouvrage en plaidant pour « un socialisme démocratique, écologique et métissé ». Ce socialisme s’oppose certes au capitalisme néo libéral, mais il a un ennemi plus dangereux qui est le socialisme étatique et autoritaire chinois. Le socialisme
chinois combine une volonté de nationalisme (que l’on voit fleurir dans de nombreuses démocraties capitalistes), mais aussi une puissance publique qui peut lui donner les moyens de ses ambitions.
Dans la marche vers l’égalité, il ne faut pas oublier la monnaie qui doit redevenir un outil au service de la démocratie et non des plus riches : « on a beaucoup utilisé l’arme monétaire pour sauver les banques et les banquiers, mais on est beaucoup plus hésitant quand il s’agit
de sauver la planète, de réduire les inégalités ou de débarrasser la puissance publique des dettes considérables accumulées à la suite des crises et divers sauvetages et plans de relance du secteur privé ».

Et Thomas Piketty de conclure « Depuis la fin du 18e siècle, c’est en bousculant les règles établies par les régimes en place que l’égalité s’est frayée une voie. Il en ira de même à l’avenir »